C’est à la piscine de l’hôtel, il y a dix ans, que les liens se sont noués. Les deux femmes travaillent dans le textile. Vanessa Anglin a vingt ans d’expérience chez Burberry, le mastodonte du trench à Londres. La seconde, Maryse Mbonyumutwa, a lancé en 2010 Pink Mango, qui détient des usines de fabrication en Asie et, depuis 2019, au Rwanda, son pays natal, dans une zone industrielle en lisière de l’aéroport de Kigali.
Au cours de sa carrière, celle-ci a souvent regretté que le continent africain ne paraisse jamais vraiment émerger sur la carte de la mode. « Je ressentais de nombreuses frustrations, avoue-t-elle. Le manque de rayonnement ; la sous-valorisation des artisanats africains, si riches ; le chômage élevé des jeunes alors que je sais à quel point le textile peut être source d’embauches… Les volumes et les infrastructures de production restent faibles. »
« Au nom de quoi n’aurions-nous pas, en Afrique, de marques globales, quand tant de labels occidentaux ont su s’internationaliser ? » Maryse Mbonyumutwa
Maintenant que son entreprise détient trois usines au Rwanda, dotées d’une crèche, d’une infirmerie et d’une cantine pour ses 4 300 salariés, pourquoi, a d’abord songé Maryse Mbonyumutwa, ne pas lancer une griffe de mode rwandaise qui aurait une vraie force de frappe ? Puis, rapidement, elle voit plus grand encore : un projet continental, « panafricain ». Certains, craignant que cette ambition ne gomme les spécificités locales, font la grimace. « Mais au nom de quoi n’aurions-nous pas, en Afrique, de marques globales, quand tant de labels occidentaux ont su s’internationaliser ? », rétorque-t-elle.
En 2020, lorsque Vanessa Anglin quitte Burberry, elle rejoint son amie sans hésiter. Ensemble, elles font passer – en visio – des entretiens à une cinquantaine de créateurs, des débutants aux plus établis, et sélectionnent quatorze profils qui contribueront à Asantii (qui signifie « merci », en swahili). « Il fallait trouver un équilibre nuancé en termes de créativité, explique Vanessa Anglin. Des talents motivés pour faire partie d’un collectif, avec si possible une sensibilité pour le développement durable sans idée préconçue. Notre ambition dès le départ était de toucher un large public, pas de devenir une marque d’accessoires de plage ou de caftans. »
Vers une clientèle aisée et mondialisée
Dans leur vivier voisinent, entre autres, la Sénégalaise Hélène Daba, aux robes tie and dye acidulées ; le Nigérian Emmanuel Okoro, apprécié pour ses tailleurs lumineux ; l’Ivoirien Zak Koné, dont les tissus wax font sensation à Abidjan ; la Ghanéenne Chloe Asaam, aux imprimés puissants ; la Tanzanienne Anjali Borkhataria, qui crée pour les hommes des ensembles ou des kitenges (semblables à des sarongs) en tissu traditionnel kanga… « Pour Asantii, j’ai eu envie de défendre les savoir-faire de ma région en les adaptant aussi aux femmes, ce que je n’avais jamais essayé auparavant », raconte cette dernière. Elle a notamment contribué à l’élaboration d’un manteau-tailleur rayé, une chemise en denim ou un trench.
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