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Transition énergitiquePénurie des pros de l’énergie, la Suisse forme en urgence
La main-d’œuvre dans le secteur du solaire et du bâtiment manque à l’appel. Entreprises, associations et autorités se mobilisent pour trouver des solutions.
La hausse des prix de l’énergie et la perspective d’un black-out ont mis en lumière l’importance des professions nécessaires à la transition énergétique. «Avec la crise, la demande a augmenté de 40%. Nous avons dû doubler nos effectifs à Genève et renforcer notre équipe à Lausanne», explique Marcio Brilhante, sous-directeur de Solstis, actif dans le domaine du solaire. Problème: le secteur connaît une pénurie de main-d’œuvre qualifiée et la relève est insuffisante.
Résultat: non seulement, le responsable n’a pas pu engager tout le personnel souhaité, mais certains de ses collaborateurs ont été démarchés par d’autres entreprises.
Il faudrait doubler les effectifs
Selon SuisseEnergie, l’organe fédéral dédié à la formation dans le secteur de l’énergie, l’an dernier, la branche du photovoltaïque représentait environ 5500 emplois. Afin de répondre aux besoins, il en faudra pratiquement le double d’ici 3 ans (9050 en 2025 et 12’500 en 2030).
La rénovation des bâtiments, prévue à large échelle afin d’atteindre la neutralité carbone – objectif fixé par la Confédération pour 2050 –, représente également un défi majeur pour le pays. Or, la pénurie de main-d’œuvre touche aussi les métiers de la construction (couvreur, chauffagiste, électricien, menuisier etc.).
Pénurie dans toute l’Europe
Active dans les ressources humaines depuis 18 ans, pour Emilie Clerc, «c’est du jamais-vu! Nous recherchons même à l’étranger, mais le marché est sec dans tous les pays européens», confie la responsable RH des Etablissements Techniques Fragnière SA, spécialiste en installations électriques et panneaux photovoltaïques.
Plusieurs facteurs sont en cause selon elle: le départ à la retraite des babyboomers, le désintérêt des jeunes pour ces métiers, le nouvel attrait des pays voisins où les travailleurs émigrés retournent (Italie, Espagne, Portugal notamment), le manque de formations dans le secteur et enfin, le Covid.
Les entreprises s’organisent
Face à ce constat, les professionnels s’organisent. «Désormais, on est dans une logique de développement de personnes. Chacun forme le personnel dont il a besoin», confie Emilie Clerc. Pour ce faire, les entreprises créent des formations internes, à l’image de Solstis qui en a ouvert une cette année. Celle-ci compte déjà une trentaine de candidats.
A la conquête des jeunes
«Former, c’est prévoir l’avenir. Mais les métiers du bâtiment souffrent d’un déficit d’image important», relève Jean-Luc Guérineau, référent genevois pour les métiers de la construction à la commission paritaire des métiers du second œuvre. Aussi, il a décidé d’aller à la rencontre des jeunes pour promouvoir ces professions. Cette année, plusieurs interventions sont prévues dans les cycles d’orientation, qui accueillent des élèves entre 12 et 15 ans. «C’est une évolution majeure en termes de possibilité de recrutement», se réjouit le responsable qui ne compte pas s’arrêter là.
L’an prochain, l’objectif sera de convaincre les plus âgés, à l’Ecole de culture générale et à l’Ecole de commerce (15-18 ans). «30% des jeunes qui empruntent ces voies quittent en cours de route. Il s’agit de les orienter vers une nouvelle formation. Les métiers du bâtiment ont aussi besoin de cadres, pas seulement d’ouvriers.»
Enfin, il faut aussi changer la perception que les parents ont de ces métiers, «car ce sont eux qui conseillent et guident les enfants.» Objectif: montrer que le secteur a évolué. «Les charges lourdes, l’insécurité, la pénibilité. Tout ça, c’est fini!»
Formation disponible… en 2024
A l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), on cherche aussi des solutions. Un CFC d’installateur de panneaux photovoltaïques est en cours d’élaboration et devrait accueillir des élèves en 2024. «Pour l’instant, il n’existe aucun diplôme pour ce métier, rappelle Jean Cattin, conseiller technique chez Swissolar. Ce sera une source de main-d’œuvre fiable, mais il faudra attendre 2027 pour voir les premiers diplômés.» Autre action entreprise par l’OFEN: le lancement au printemps dernier d’une offensive de formation dans le domaine du bâtiment en Suisse alémanique. Afin d’encourager et de faciliter la formation dans ces métiers, un catalogue de 32 mesures a été édicté (lire encadré ci-dessous). Le 15 novembre prochain, le dispositif démarrera en Suisse romande.
Les migrants à la rescousse
Faire appel aux migrants. C’est l’une des solutions proposées par l’OFEN. «Nous travaillons avec le Secrétariat d’État aux migrations pour voir dans quelle mesure nous pouvons rapidement former ces personnes», détaille Kornelia Hässig, responsable du service Formation et perfectionnement dans le domaine de l’énergie.
Dans le canton de Saint-Gall, le centre de formation Polybau déploie déjà un programme, destiné aux personnes ayant le statut de réfugié ou admises à titre provisoire, dans le secteur du second œuvre. Les personnes faiblement qualifiées sont aussi visées. «Cela peut être des chômeurs ou des bénéficiaires de l’aide sociale qui ne disposent pas d’une formation professionnelle de base.» Autre mesure concrète: la création de passerelles pour permettre aux gens déjà qualifiés de se réorienter plus facilement.
Depuis avril, les militants de Renovate Switzerland enchaînent les actions, dont la dernière a eu lieu mercredi à la sortie d’autoroute de Crissier (VD). Ils demandent la formation de 100’000 personnes dans le secteur du bâtiment. «Sans cette main-d’œuvre, la Confédération n’atteindra jamais les objectifs qu’elle s’est fixée en matière de transition énergétique. On est dans une urgence climatique. Il faut agir!», estime François Jacob, porte-parole du collectif. «Les solutions rapides, ça n’existe pas», tempère Kornelia Hässig.
Les activistes veulent également que les autorités débloquent 4 milliards de francs pour soutenir les gens qui souhaitent faire une reconversion. Une possibilité qui «n’est pas envisagée pour l’instant» à Berne.