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à Benin City, le difficile retour des migrants rapatriés de Libye

à Benin City, le difficile retour des migrants rapatriés de Libye


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Une couturière à Benin City, au Nigeria, en juillet 2019.

Parce qu’ils sont partis grâce aux mêmes réseaux, qu’ils ont parcouru les mêmes routes et se sont heurtés à la même violence, les histoires des migrants de Benin City, dans le sud du Nigeria, finissent souvent par se ressembler. Dans cette ville où les églises évangéliques côtoient les bureaux de transfert de fonds, tout le monde connaît un « returnee » (un rapatrié) ayant tenté l’aventure de l’étranger avant d’être renvoyé dans son pays.

L’Etat d’Edo a longtemps été considéré comme le principal point de départ vers l’Europe pour les migrants irréguliers et les prostituées nigérianes. A ce titre, la région bénéficie depuis cinq ans d’importants financements de l’Union européenne (UE), qui soutient les projets de réinsertion et les programmes de « retours volontaires » gérés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

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Depuis 2017, quelque 27 000 migrants ont été rapatriés au Nigeria avec l’appui de cette agence des Nations unies. La plupart d’entre eux (plus de 17 600 personnes) étaient coincés en Libye ou au Niger lorsqu’ils ont été pris en charge par l’OIM. Un quart de ces retours concernaient des migrants originaires de l’Etat d’Edo. Le nombre de rapatriements a beau avoir baissé drastiquement depuis la pandémie de Covid-19 (4 628 en 2019, contre 816 en 2020), l’OIM indique avoir déjà secouru plus de 500 Nigérians retenus en Libye depuis le début de l’année, alors qu’environ 32 000 ressortissants se trouveraient toujours bloqués dans le pays.

Beaucoup de candidats au départ finissent par tomber aux mains de trafiquants d’êtres humains

Cependant, « l’attention portée à la filière libyenne a poussé les trafiquants à changer de stratégie et de destinations », constate Chinenye Okoye, qui travaille pour l’ONG Idia Renaissance, à Benin City. Les routes migratoires mènent désormais plutôt vers le Moyen-Orient ou les pays du Golfe. Mais comme souvent, les données manquent pour quantifier précisément le phénomène, d’autant que les parcours sont loin d’être linéaires. Au cours de leur périlleux voyage, beaucoup de candidats au départ finissent par tomber aux mains de trafiquants d’êtres humains.

Séquelles et mépris

Mercy pensait qu’elle pourrait rejoindre l’Europe « en moins d’une semaine », comme le lui avait promis le passeur ghanéen, qui l’a vendue à un notable local une fois arrivés en Libye. Le calvaire de la jeune femme a duré un peu plus d’un an, avant qu’une Nigériane installée dans le pays depuis quinze ans accepte d’organiser son évasion et de la mettre en contact avec l’OIM. En 2017, Mercy est donc revenue au Nigeria par avion, comme si elle n’en était « jamais partie », dit-elle.

Sa mère, qui avait emprunté près de 2 000 euros auprès d’un organisme de microcrédit pour financer le voyage de sa fille, a été soulagée de la revoir vivante. Mais ce n’est pas le cas de tous. « Les autres te voient comme une erreur, lance Mercy, dont le doux visage est encadré par de longues tresses. Tout le monde sait que le Nigeria est un pays en faillite, donc à quoi ça sert de revenir ici ? »

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En plus des séquelles physiques et psychologiques, les rescapés de la traite et les migrants expulsés subissent le mépris de leurs proches, en total décalage avec leur vécu. « Beaucoup de gens disaient : “Les filles qui sont passées par la Libye sont toutes des prostituées, elles ne sont plus bonnes à marier” », retrace Mercy, qui s’est longtemps sentie « incomplète », comme « exclue de la société ».

« Les filles veulent partir quoi qu’il en coûte, elles pensent que pour elles tout ira bien »

D’abord livrée à elle-même, elle a pu bénéficier par la suite d’une formation de l’OIM, qui lui a fourni le matériel nécessaire pour démarrer un petit commerce de plats cuisinés. Mais la jeune femme a finalement dû liquider son activité, début 2022, pour financer l’hospitalisation de sa mère, atteinte d’un cancer du foie. « Je suis la fille aînée, ça a aussi été à moi de payer son enterrement, et aujourd’hui je dois m’occuper de mes cinq frères et sœurs », raconte-t-elle.

En juillet, Mercy a pu ouvrir une boutique de mode, cette fois grâce à un emprunt contracté auprès d’une connaissance. La survivante intervient auprès de potentielles candidates au voyage, mais son témoignage n’est pas toujours bien reçu : « Les filles veulent partir quoi qu’il en coûte, elles pensent que pour elles tout ira bien et nous soupçonnent de mentir. »

Couture et théâtre

A Benin City, l’UE finance de nombreux programmes de formation à destination des « returnees » et des potentiels candidats au départ. Dans les locaux de l’ONG Genius Hub Global Initiative, des dizaines de femmes s’activent autour de machines à coudre. Depuis son ouverture en 2015, cette organisation a formé plus de 8 000 bénéficiaires, qui sont encouragés à prendre part à des ateliers d’art-thérapie censés les aider à mettre des mots sur leur expérience. « Sans ça, impossible d’acquérir de nouvelles compétences, souligne Obehi Okpiabhele, la directrice de l’ONG. Leur tête est trop pleine de souffrance pour retenir quoi que ce soit. »

Des pièces de théâtre, écrites et jouées par les rapatriés, sont aussi montées dans les villages pour tenter de « susciter l’empathie » au sein des communautés. Mais certaines personnes restent exclues de ces programmes, parfois par manque d’information ou parce qu’elles sont rongées par la honte et la dépression.

Uwa, 36 ans, s’est sortie toute seule de l’enfer libyen après deux ans de captivité dans la maison d’un homme arabe. La frêle jeune femme aux grands yeux noirs avait pris la route après avoir été abandonnée par le père de son enfant, et c’est par le même chemin qu’elle est revenue au Nigeria. « Mon ancien mari a entendu que j’étais revenue et il a demandé réconciliation, se remémore-t-elle. Peut-être qu’il croyait que j’avais ramené de l’argent de mon voyage, mais je n’avais rien. »

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Uwa a donné naissance à deux autres enfants avant que cet homme ne la quitte de nouveau. Depuis, elle survit comme elle peut, grâce aux dons de nourriture des fidèles de son église et aux billets que lui glisse parfois la femme de son pasteur. Sa situation financière est si dramatique qu’elle peine à payer le loyer dérisoire de sa petite chambre, 3 000 nairas par mois (7 euros). Pourtant, il y a deux ans, Uwa a bénéficié d’une formation dans le travail du cuir, mais impossible de poursuivre cette activité sans capital à investir dans l’achat de matériel.

« La rentrée des classes a eu lieu la semaine dernière et je ne peux pas envoyer mes enfants à l’école car je n’ai pas les moyens de payer pour leurs livres et leurs cahiers », explique-t-elle en serrant son pagne autour de ses maigres hanches. Il y a quelques mois, la jeune femme a de nouveau réuni ses vêtements, prête à repartir vers la Libye. « Je ne supportais plus de voir mes enfants dans cette situationJe voulais juste aller quelque part où j’arrêterais de penser. » Uwa a fini par abandonner l’idée devant les larmes de ses rejetons. L’obtention d’une nouvelle formation de six mois, en pâtisserie cette fois, lui a aussi redonné un peu de force.

Alors que la réintégration des « returnees » est considérée comme un levier pour mettre un frein à l’immigration irrégulière vers l’Europe, un rapport publié le 11 octobre par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH) s’alarme des conditions dans lesquelles les personnes en situation irrégulière sont renvoyées dans leur pays d’origine. « La plupart des migrants en Libye reviennent dans la même situation qui les avait poussés à partir, avec en plus le poids de difficultés financières et psychosociales liées à l’échec de leur projet migratoire », souligne cette étude. Le CDH estime même que beaucoup de ces retours ne sont pas réellement « volontaires » et qu’ils « ont alors peu de chance d’être durables ». 

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