Officiellement soucieux d’endiguer les violences récentes de certains activistes pro-russes au Burkina Faso, le capitaine Traoré, qui vient de renverser le lieutenant-colonel Damiba, se réjouit-il du soutien inattendu de l’oligarque Evgueni Prigojine ? Difficile de sonder le cœur d’un putschiste qui, pour l’heure, affirme que tout partenariat sécuritaire est envisageable et que, d’ailleurs, il pourrait ne pas avoir la charge de tels choix politiques, peu intéressé qu’il est par l’exercice du pouvoir. En attendant de découvrir, dans les jours qui viennent, la place qu’occupera Ibrahim Traoré dans la nouvelle architecture dirigeante du Burkina Faso, l’enthousiasme empressé du fondateur du groupe Wagner ne passe pas inaperçu…
Politologue populiste
On aurait pu croire le récent coming out d’Evgueni Prigojine – l’aveu qu’il était l’un des fondateurs du groupe paramilitaire Wagner – presque accidentel, mais l’oligarque semble avoir abandonné définitivement sa discrétion légendaire. Comme pour interférer dans la crise burkinabè, il a posté, sur l’application Telegram, un message aussi précoce – deux jours avant la démission du président burkinabè – que long : « Je salue et soutiens le capitaine Ibrahim Traoré. […] Le 24 janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a pris le pouvoir dans le pays, sous l’égide de la lutte pour la liberté et la justice. Cependant, il n’a pas su se montrer à la hauteur de la confiance des jeunes officiers, qui ont finalement suivi le capitaine Ibrahim Traoré. »
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Presque journaliste, il devient, au fil des mots, politologue – « Et maintenant, ils ont fait ce qui était nécessaire » –, voire militant populiste : « Et ils l’ont fait uniquement pour le bien de leur peuple ». La loquacité du réputé taiseux alimente l’idée que l’éminence grise du régime de Vladimir Poutine aurait pu jouer un rôle dans les récents développements au Burkina Faso.
Rien n’est moins sûr. Si Prigojine avait déjà élaboré un plan avec Traoré, il ne lui serait pas utile, aujourd’hui, d’en esquisser les ficelles publiquement. À l’inverse, son message de soutien a tout du pied que glisse un colporteur dans la porte d’un potentiel client.
« L’armée secrète » de Moscou au pays des hommes intègres
Dans les heures qui viennent, celles de l’attribution des leviers du pouvoir burkinabè à tels civils ou militaires, le nouveau patron du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) devra composer avec l’opinion agissante, qui pourrait tout autant lui accorder un ersatz de légitimité que lui faire l’effet d’une épine dans le pied. C’est tout autant à ces foules physiques et virtuelles qu’au capitaine burkinabè que Prigojine envoie sa salutation.
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Si le fondateur de Wagner a quitté l’ombre pour la lumière, il s’intéresse, depuis longtemps, aux pays africains susceptibles d’accepter ses offres d’influence politique, de gestion médiatique, d’extraction de ressources et de soutien aux régimes en place, comme la Libye, la Centrafrique, ou le Mali. Après le départ du trop timoré Damiba, Prigojine ne serait pas contre une implantation de « l’armée secrète » de Moscou au pays des hommes intègres. Reste à obtenir les réponses à deux questions : « Que sera Ibrahim Traoré demain ? » et « Que fera-t-il après-demain ? »