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Tous les témoignages concordent et ils sont accablants : depuis des années, des entraîneurs et des dirigeants du football en République démocratique du Congo (RDC) abusent de jeunes garçons en leur faisant miroiter du temps de jeu et des contrats en échange de faveurs sexuelles. « On a l’impression que tout le monde était au courant de ces pratiques mais que c’était tabou », déplore le journaliste Romain Molina, qui a signé l’enquête publiée le 3 novembre par le site Sport News Africa. Un deuxième volet est attendu en fin de semaine.
Le Monde a pu prendre connaissance d’un message audio sans équivoque envoyé par un entraîneur à un jeune joueur :
« On ne peut pas te faire signer un contrat tant que tu ne ramènes pas un sacrifice, que tu acceptes de te faire enculer. D’autres joueurs ont accepté, et ils ont signé des contrats. Tu donnes ce qu’on cherche, et on te donne ce que tu veux. C’est 50-50. A toi de décider. »
Si l’identité de l’auteur est à ce jour inconnue – « le joueur qui me l’a envoyé n’ose pas dire de qui il s’agit, par peur des représailles », explique Romain Molina –, le journaliste met nommément en cause plusieurs autres entraîneurs considérés comme de véritables prédateurs sexuels : « Prenons le cas de Guy-Roger Limolo, qui a entraîné plusieurs clubs professionnels : il a été surpris dans les toilettes du stade Tata-Raphaël, à Kinshasa, en train d’abuser d’un jeune joueur. Et il y a d’autres cas. Certains entraîneurs ont purgé des peines de prison, et une fois libres ils ont ouvert des académies sans être inquiétés. »
Briser l’omerta
Scandalisé par ces pratiques, Papy Kimoto (46 ans, 54 sélections) fait partie de ceux qui ont essayé de briser l’omerta. Entraîneur de l’AS Maniema (Ligue 1), l’ancien joueur a fait carrière en Belgique, en Israël et à Chypre avant de revenir dans son pays d’origine et de progressivement prendre conscience de l’ampleur du fléau.
« Des joueurs sont totalement détruits, dégoûtés du football », fustige l’entraîneur Papy Kimoto
« C’est un véritable réseau qu’il faut démanteler en dénonçant les agissements de ces individus, qui sont chassés d’une province parce qu’ils abusent d’enfants mineurs, mais qui parviennent à trouver un club dans une autre province. Les dirigeants de clubs ne peuvent pas ne pas être au courant. Des joueurs sont totalement détruits, dégoûtés du football », fustige Papy Kimoto, dont l’épouse, qui réside à Kinshasa avec leurs enfants, a reçu des appels anonymes menaçants.
La Fédération congolaise de football (Fecofa) a déjà été alertée en décembre 2020 par des entraîneurs sur des cas d’abus dans les clubs, les centres de formation mais également au sein des sélections nationales. Mais l’actuel président, Donatien Tshimanga, n’avait jusque-là jamais jugé utile de réagir. Après la publication de l’article, la Fecofa a néanmoins décidé de diligenter une enquête menée par une commission indépendante et de suspendre à titre conservatoire six entraîneurs (Guy-Roger Limolo, Tifo Miezi, Alain Kandudi, Bertin Makuzueto, Cédric Dongo Epapa et Jonathan Buka). Ces derniers devraient, selon nos informations, être prochainement entendus par le parquet.
« On manquait de preuves »
Cette passivité des instances ne surprend pas les observateurs du football congolais. « Certains regardent ailleurs, ils savent mais ne veulent pas parler, par crainte de représailles. D’autres sont clairement complices, confie un cadre souhaitant rester anonyme. On sait très bien que ce sont des méthodes habituelles. Ce n’est évidemment pas une généralité, mais le problème est d’ampleur. On fait croire à des gamins que c’est normal. » Certains des pédocriminels cités dans l’enquête n’hésitent pas à dire à des jeunes footballeurs que « Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, s’ils ont réussi en Europe, ont aussi fait des sacrifices », assure Romain Molina.
Lundi 7 novembre, lors d’une réunion avec les plus hautes instances du football congolais (fédération et ligue nationale), le ministre des sports, Serge Nkonde, a annoncé que l’Etat prendrait toutes ses responsabilités pour faire la lumière sur ce scandale. Il a demandé au ministère de la justice de saisir le procureur général.
« Celui-ci nommera des magistrats qui seront chargés de mener l’enquête. Les personnes coupables seront sanctionnées. Il faut arrêter toutes ces personnes et nettoyer le sport congolais, et le football en particulier, de cette calamité, prévient Barthélémy Okito, le secrétaire général du ministère des sports. On savait que ces choses existaient, mais on manquait de preuves. L’enquête de Romain Molina en a apporté, et maintenant il faut aller au bout, mettre hors d’état de nuire ces gens qui commettent des viols sur des enfants. On sait que plusieurs sont prêts à témoigner. »