Est-ce le signe d’une inquiétude pour l’avenir proche ? Le prix 2022 de la Banque de Suède en hommage à Alfred Nobel a été décerné à Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig, trois spécialistes des crises financières, et plus précisément du rôle majeur que les fragilités des banques jouent dans la gravité de ces crises.
Ben Bernanke est surtout connu pour avoir été le président de la Réserve fédérale américaine (Fed) de 2006 à 2014, lorsqu’il a dû affronter la crise des subprimes (2007-2008) en « sauvant » les banques américaines par un déluge de rachats de titres et d’émissions obligataires, le fameux quantitative easing (« assouplissement quantitatif »), quintuplant le bilan de la Fed à 4 000 milliards de dollars. Ce n’est pourtant pas pour cet « exploit » – aujourd’hui controversé car suspecté d’avoir « conduit à la surchauffe actuelle et à l’inflation », comme le pointe Jean-Michel Naulot, ancien membre de l’Autorité des marchés financiers – que l’économiste est honoré, mais pour ses recherches sur l’histoire de la crise de 1929.
« Les banques sont les nœuds »
Il a en effet montré que le principal véhicule de la propagation de la crise dans l’économie réelle (faillites, chômage, Grande Dépression) après le krach financier initial d’octobre est la cascade des fermetures des banques ruinées par l’effondrement de Wall Street. En effet, explique Augustin Landier, professeur de finance à HEC, « les banques sont les nœuds où se confrontent les informations sur les agents économiques, particuliers et entreprises. Si elles disparaissent, ces informations ne sont plus disponibles et l’économie ne fonctionne plus tant que la confiance n’est pas revenue ». Cette démonstration de l’universitaire Ben Bernanke, professeur à Stanford, New York et Princeton, a convaincu le banquier central Ben Bernanke qu’il fallait, pour juguler la crise des subprimes dont il avouera dans ses Mémoires de crise avoir tout d’abord sous-estimé l’impact, « sauver les banques », quoi qu’il en coûte – le choc causé par la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, l’avait amplement confirmé.
Pour David Thesmar, professeur de finance au MIT, Douglas Diamond et Philip Dybvig sont, eux, deux « purs » théoriciens, l’un à l’université de Chicago, l’autre à celle de Saint-Louis. Ils sont récompensés pour un article que les économistes qualifient de « canonique » ou « fondateur », publié en… 1983 dans le Journal of Political Economy, « Bank Runs, Deposit Insurance and Liquidity ». Cet article a en effet inauguré une longue liste de recherches et de publications par bon nombre de leurs collègues sur les fragilités du système bancaire et les moyens d’y remédier. Les deux économistes y ont montré, alors que commence à peine le feu roulant de la financiarisation de l’économie, que les banques souffrent d’une faiblesse intrinsèque, inscrite dans la nature même de leur activité : leur passif (les dépôts qu’elles collectent auprès des épargnants) est à court terme – puisque les épargnants peuvent les retirer au premier signe de perte de confiance – alors que leur actif (les investissements et placements dans les titres d’entreprise ou d’Etat) sont à long terme.
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