Depuis le début des années 2010, le débat public en France est de plus en plus focalisé sur le thème de l’héritage. Des économistes ont apporté des éclairages réguliers sur la manière dont le patrimoine s’est progressivement concentré en haut de la pyramide, tout en documentant les effets pernicieux de l’héritage sur l’économie et la cohésion sociale. Pourtant, aucune réforme significative sur le sujet n’a été entreprise. Emmanuel Macron avait bien promis en 2017 de lutter contre les rentes, mais il a finalement renoncé à engager une telle réforme un an plus tard.
Dans le même temps, la concentration des patrimoines s’accroît inexorablement en France. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les 10 % des Français les plus aisés ont un patrimoine brut 163 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. De plus, le flux successoral est aujourd’hui trois fois plus élevé qu’en 1950, selon un rapport récent du Conseil d’analyse économique (CAE). Face à cette situation, il devient impératif de réformer l’impôt sur les transmissions pour éviter que la France ne redevienne une société d’héritiers, aggravant ainsi les inégalités.
Le célèbre dicton tiré du Figaro de Beaumarchais qui dit : « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus » est plus que jamais d’actualité. En effet, ceux qui détiennent un patrimoine aujourd’hui en France le doivent majoritairement à l’héritage. En 2019, près de 60 % de la valeur totale du patrimoine détenu en France était héritée, contre seulement 35 % en 1970, selon les chiffres du CAE. En d’autres termes, il est plus probable de posséder un capital hérité plutôt qu’acquis suite à une vie de travail et d’épargne.
La raison en est simple. Comme l’explique Thomas Piketty dans son livre « Le Capital au XXIème siècle », le capital croît plus vite que l’activité économique. Par conséquent, il est peu probable que celui qui ne doit sa richesse qu’au revenu de son travail puisse rattraper celui qui possède du capital. Cette dynamique explique la surconcentration des patrimoines hérités en France : les 0,1 % des héritages les plus conséquents sont 180 fois plus élevés que la médiane patrimoniale, alors que pour les revenus, cet écart n’est que de 1 à 10.
Cette surconcentration héritée rompt avec la promesse d’une justice sociale qui rémunère avec équité le talent et l’effort, indépendamment des origines. Bien sûr, il est toujours possible de trouver des contre-exemples, de Bernard Tapie à Kylian Mbappé, mais ces exceptions ne doivent pas masquer l’inertie sociale en France et la part de responsabilité des héritages dans cette situation. En outre, ces héritages ne contribuent pas suffisamment à l’effort de redistribution. Alors que le taux de prélèvements obligatoires en France est d’environ 45 % du PIB, les droits de succession ne représentent que 0,6 % de la production nationale, selon le projet de loi de finances 2023.
Face à ce constat, il est essentiel que la France prenne des mesures significatives pour réformer l’impôt sur les transmissions. Cela permettrait d’éviter que la richesse ne se concentre de plus en plus dans les mains de quelques privilégiés, réduisant ainsi les inégalités et les injustices sociales.