« On ne mangera plus de figues comme avant » : c’est la phrase que la réalisatrice franco-tunisienne Erige Sehiri a le plus entendue lors de la présentation de son film Sous les figues, partout en France. Cette œuvre sensible et baignée de lumière, qui sort en salle le 7 décembre, devrait rester en mémoire. En Tunisie, où il est visible depuis un mois, certaines répliques du film ont même été détournées en mèmes sur les réseaux sociaux.
Le travail de la réalisatrice autodidacte de 40 ans a reçu à Tunis un écho enthousiaste, au point d’avoir été choisi pour concourir à l’Oscar du meilleur film étranger, qui sera décerné en mars. « Pour moi qui suis née et ai grandi en France, voir tout à coup le pays d’origine de mes parents me reconnaître, c’est très fort », dit-elle. Sous les figues a même été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, un excellent tremplin.
« L’image de ces jeunes femmes transportées en groupe, comme du bétail, à l’arrière d’un pick-up, me hantait. » Erige Sehiri
Après La Voie normale (2018), son premier long-métrage, un documentaire qui suivait cinq cheminots construisant une nouvelle ligne ferroviaire, Erige Sehiri choisit de poursuivre sa quête de filmer « les gestes du travail », mais, cette fois, au travers d’une fiction. « En Tunisie, plusieurs faits divers ont fait état de jeunes filles blessées ou mortes dans des accidents de voiture ou de camion alors qu’elles allaient travailler dans les champs, retrace la réalisatrice. L’image de ces jeunes femmes transportées en groupe, comme du bétail, à l’arrière d’un pick-up, me hantait. »
Le film s’ouvre précisément sur cette scène, où des ouvriers saisonniers entassés sur un véhicule sont en route pour la récolte des figues. Puis Erige Sehiri filme la cueillette ensoleillée. D’un figuier à l’autre, elle décrit les rapports de force, les liaisons secrètes, les prises de bec… Et, en creux, le portrait d’une jeunesse tunisienne espiègle, qui doit concilier la dégringolade économique avec sa soif de liberté, la recherche de plaisirs amoureux avec les coutumes religieuses.
Les larmes du père
Erige Sehiri a recruté ses acteurs, non professionnels, « sur Facebook, dans les champs, au marché de Tunis », et a tourné sur deux étés à Kesra, à 170 kilomètres au nord-ouest de la capitale, le village où a grandi son père, Amara. Au départ, celui-ci, à la retraite, refuse de donner un coup de pouce financier à son projet, en lui lançant : « On ne fait pas de cinéma si on n’a pas d’argent ! » Elle persiste malgré tout. « Un soir, sur le tournage, alors que nous visionnions une scène au combo, je me suis retournée. Il était derrière moi, en train de pleurer. Le lendemain, il a changé d’avis et m’a dit qu’il allait m’aider avec ses économies. »
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