« Une madeleine de Proust », telle est l’image qui vient à l’esprit de la cinéaste et productrice franco-marocaine Leïla Kilani, née en 1970 à Casablanca et qui vit entre Paris et Tanger, quand on lui parle de la demi-finale de la Coupe du monde de football France-Maroc, qu’elle regardera mercredi 14 décembre, à Marseille.
Pour la réalisatrice de Sur la planche (2011), polar social tourné à Tanger, qui avait marqué la Quinzaine des réalisateurs en 2011 à Cannes, le ballon rond est une histoire familiale, synonyme du collectif retrouvé.
Votre cœur penche-t-il du côté des Lions de l’Atlas, en vue de la demi-finale ?
Ce match, je lui donne un nom, c’est « David l’outsider », c’est-à-dire David contre Goliath. C’est David qui s’est frayé un chemin, contre toute attente. J’ai beaucoup aimé la phrase du sélectionneur marocain, Walid Regragui, après la victoire contre le Portugal, qui a permis à l’équipe marocaine de se qualifier en demi-finales : « On est le Rocky de cette Coupe du monde », a-t-il dit. On a envie d’être du côté de l’outsider, et si c’était le Sénégal je serais du côté sénégalais.
Vous êtes une « footeuse », dites-vous. Comment est venue cette passion ?
C’est un souvenir qui remonte au Mondial de 1986. J’avais 16 ans, le Maroc se retrouvait en huitième de finale contre l’Allemagne et s’était fait éliminer pendant les prolongations. Mais c’était déjà un pas de géant ! Mon père, qui a toujours été très exigeant sur les horaires et le travail à l’école, était entièrement accro au foot et n’hésitait pas à nous réveiller à une heure du matin pour voir les matchs ! Ce qui m’a frappée, à l’époque, c’est l’élan collectif qui a réuni le pays. C’est la première liesse que j’ai vécue comme Marocaine. Le foot, c’est un rituel archaïque mais aussi une communion.
La Coupe du monde 2022 opère comme une résurrection : j’ai perdu mes deux parents, mais les souvenirs partagés du foot les rendent vivants, c’est une véritable madeleine de Proust… Aujourd’hui j’ai une fille, et à mon tour je lui transmets cette passion. Je lui dis : les Marocains arrivent en quarts de finale comme d’autres rêvaient d’aller sur la Lune. Merci à l’équipe du Maroc d’avoir marché sur la Lune ! C’est un collectif qui a beaucoup rêvé et qui fait rêver, sans se donner de limite, c’est la définition des héros.
Qu’est-ce qui vous a marquée dans le jeu de l’équipe marocaine durant cette Coupe du monde ?
Déjà, j’aimerais rappeler que certains joueurs de l’équipe marocaine ont des doubles nationalités – espagnole, canadienne… –, ce sont des gens qui ont une tête ici, un pied là-bas. Ils sont dans cette schizophrénie heureuse, décomplexée, où l’assignation identitaire n’a pas lieu d’être. Si je devais citer un match récent, je choisirais la rencontre Espagne-Maroc, le 6 décembre, où l’équipe marocaine a donné une grande leçon sportive. Loin de la flamboyance individuelle de tel ou tel, sur le terrain, j’ai vu un corps collectif devenir un mur de résistance. Un mur qui semblait dire [aux Espagnols] : « Vous ne passerez pas. » J’y ai vu la beauté de l’artisanat collectif.