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Médecines non conventionnelles, spiritualité… Depuis le Covid-19, les dérives sectaires explosent

Médecines non conventionnelles, spiritualité... Depuis le Covid-19, les dérives sectaires explosent



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Après deux ans de crise sanitaire, scientologues et Témoins de Jéhovah sont aujourd’hui concurrencés par les nouveaux gourous de la santé et du bien-être dans le viseur de la Miviludes. La mission interministérielle chargée de lutter contre les dérives sectaires fait état, jeudi, d’une hausse record des saisines et pointe notamment l’envolée des signalements concernant des « dérives thérapeutiques et pratiques de soins non conventionnels ».

Les signalements avaient déjà augmenté au début de la crise sanitaire. Deux ans après, ils ont littéralement explosé. Les dérives sectaires font l’objet d’une « augmentation significative » des saisines, révèle jeudi 3 novembre la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans son dernier rapport.

L’organisme, rattaché au ministère de l’Intérieur, fait état d’une hausse de 33,6 % – un niveau record – des saisines en 2021 par rapport à 2020. Et la pandémie de Covid-19 y est pour beaucoup. Selon la Miviludes, le contexte de crise sanitaire a entraîné un « regain d’activité » de son pôle santé (744 saisines) avec de très nombreux signalements concernant des « dérives thérapeutiques et pratiques de soins non conventionnels » (544), mais aussi une intensification du prosélytisme religieux ou spirituel et l’avènement de nouveaux gourous, notamment grâce aux réseaux sociaux.

La dérive sectaire est « un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société. » – site internet de la Miviludes.

>> À lire – La pandémie de Covid-19, « une aubaine » pour les sectes en France

« Les médecins sont dans la science, les charlatans dans la patamédecine »

« Les dérives liées à la santé sont parmi les plus inquiétantes », commente auprès de l’AFP la secrétaire d’État à la Citoyenneté, Sonia Backès, chargée de ces sujets. « Quand vous demandez à quelqu’un de ne pas suivre son traitement en lui vendant un soin alternatif à la place, vous pouvez mettre la vie de cette personne en danger ».

Le rapport d’activité de la Miviludes pointe notamment la naturopathie, le reiki, la nouvelle médecine germanique, ou encore le jeûne. Des pratiques qui ont continué à se développer pendant la crise sanitaire, qui s’est traduite par un rejet croissant de la médecine conventionnelle.

Déjà dans le viseur de la Miviludes en 2020, les « gourous 2.0 » font de nouveau l’objet d’une attention particulière. À la faveur des réseaux sociaux, « des manipulateurs isolés et parfaitement autonomes ont pu aisément exploiter ce contexte pour propager leur doctrine », explique l’organisme. En procédant ainsi, ils « ont pu s’offrir, non seulement une véritable vitrine publicitaire pour leur activité, mais aussi un espace pour réunir et contrôler une communauté virtuelle dont la souffrance est – quant à elle – bien réelle ».

« Le Covid-19 a joué un grand rôle dans l’augmentation de ces dérives sectaires car la population a eu très peur », explique Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (Caffes). « Les personnes davantage vulnérables à la peur se sont laissées séduire par les antivax et les praticiens de médecines alternatives, se sont fait avoir financièrement et sont tombées sous emprise ».

Une « emprise mentale » qui, selon le Caffes, suit le mécanisme suivant : « séduction, conditionnement, rupture familiale, contractualisation, addiction (impliquant l’impossibilité de faire sans son maître à penser), puis le déclic permettant à la victime de sortir de l’emprise », détaille Charline Delporte.

Dans le rapport de la Miviludes, sont de nouveau pointées du doigt des figures telles que Thierry Casasnovas, youtubeur et naturopathe autoproclamé, pape du crudivorisme – un régime alimentaire qui consiste à se nourrir exclusivement d’aliments crus – proposant notamment des stages de vitalisme (philosophie qui conçoit l’énergie vitale comme facteur immatériel indispensable à la santé et la guérison), mais aussi Jean-Jacques Crèvecœur, formateur en développement personnel et polémiste belge, connu pour son conspirationnisme et son militantisme antivaccins.

Sur les réseaux sociaux, sous les articles dénonçant ses pratiques, bon nombre d’internautes, acquis à sa cause ou simples sympathisants, trouvent à défendre Thierry Casasnovas, ou plus largement les médecines non conventionnelles telles la naturopathie.

« Cet homme [Thierry Casasnovas] n’est pas un gourou, il est simplement à contre-courant de la doctrine actuelle », défend un utilisateur de Twitter.

Alors que vient d’être publié le rapport de la Miviludes, une autre internaute, se présentant comme sage-femme, s’interroge : « Vous mélangez les naturopathes avec les gourous et guides spirituels ? C’est vraiment ignorer leur formation et leurs compétences spécifiques en jetant tout le monde dans le même panier, même si la vigilance est bien sûr de mise face au charlatanisme ».

À cela, Charline Delporte répond en utilisant l’exemple de l’homéopathie. « Un médecin homéopathe va vous soigner parce qu’il a eu un diplôme après une dizaine d’années d’études, mais peut ensuite choisir de soigner avec des procédés plus doux. Le médecin est dans la science, tandis que les charlatans sont dans la patamédecine (terme employé par le Pr Marcel-Francis Kahn, grande figure de la rhumatologie française, pour désigner les médecines non rationnelles, basées sur des croyances et non sur des démonstrations scientifiques, NDLR) ».

Fin octobre, la plateforme de prise de rendez-vous en ligne, Doctolib, a pris une décision visant à remettre l’église au milieu du village. Près de 6 000 praticiens de médecines alternatives seront supprimés de ses bases de données dans les six mois à venir. Après avoir reçu plusieurs signalements et des critiques de l’Ordre des médecins, la plateforme a fait le choix de répertorier uniquement les professionnels référencés par les autorités de santé et de supprimer les professions non réglementées comme les naturopathes, les sophrologues, les magnétiseurs ou encore les médiums.

>> À lire – Doctolib, une success story française révélatrice de sérieuses failles

La Miviludes, qui s’inquiète de l’emprise mentale exercée par certains « dérapeuthes » (mot-valise qu’elle forme à partir des mots « dérapage » et « thérapeute ») rappelle néanmoins que « toute dérive thérapeutique ou toute pratique non conventionnelle n’est pas [nécessairement] sectaire ».

Les jeunes, des cibles de choix

En dehors de la santé, les dérives dans le secteur du développement personnel sont aussi surveillées par la mission interministérielle. Avec 173 saisines en 2021, dont 54 % sur le coaching spécifiquement, ce sujet touche principalement les jeunes de 16 à 25 ans.

« Les jeunes sont des cibles de choix », explique Charline Delporte. Ils ont des attentes, des besoins, et veulent donner un sens à leur vie », poursuit-elle, évoquant leur forte envie de spiritualité et leur besoin de se constituer en groupes d' »amis ». « On a ainsi vu émerger la problématique des éco-villages, et de l’anthroposophie (mouvement de pensée se voulant proche de la nature et voyant le monde comme animé par des forces spirituelles, NDLR) qui présente un risque de dérive sectaire ».

>> À écouter sur RFI – « Les dérives sectaires concernent toutes les classes d’âge et catégories sociales »

Dans son rapport, la Miviludes évoque largement la question des éco-villages, qu’elle qualifie de « lieux de vie communautaires et autarciques où les habitants entretiennent un fort rapport à la nature, à l’agriculture et à l’autosuffisance ». Faire le choix d’un tel mode de vie n’a rien de répréhensible en soi, mais la mission interministérielle s’inquiète de « situations de déscolarisation d’enfants, d’épuisement, de dénutrition, d’abus de faiblesse, d’escroquerie, d’abus de confiance, de violences psychologiques voire physiques ou sexuelles ».

Un lien est établi entre le succès de ces éco-villages et la pandémie de Covid-19. Recrutant elles-aussi largement sur les réseaux sociaux, ces structures « s’appuient sur un contexte sanitaire et économique difficile pour proposer un nouveau mode de vie prétendument détaché des difficultés du monde extérieur », précise le rapport de la Miviludes, qui évoque « une manifestation de séparatisme mêlée à un fond de complotisme ».

À côté des « multinationales de la spiritualité », comme l’Église de scientologie (33 saisines), ou les Témoins de Jéhovah (99 saisines), le pôle sécurité de la Miviludes a eu à traiter des signalements concernant le néo-chamanisme, le féminin sacré et le masculinisme. La branche française de l’association internationale Mankind Project est notamment surveillée pour des « changements de comportements radicaux » observés à la suite de « stages d’initiation à la masculinité ».

Dans ce contexte, Sonia Backès a annoncé l’organisation d' »Assises des dérives sectaires et du complotisme début 2023″ pour réunir les acteurs de la lutte contre ces phénomènes et aboutir à une feuille de route pour les années à venir.


Un événement très important, s’enthousiasme Charline Delporte. « Avec les associations, nous allons enfin pouvoir constituer un inventaire des emprises et des leaders qui sévissent depuis des années et font de leurs victimes des esclaves fidèles et avisés. »



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