L’histoire de l’amour entre le cheval et les « Indiens d’Amérique » a marqué nos vies. Cavalier hors pair, vivant en symbiose avec l’animal, les autochtones des westerns de notre enfance avaient, sur ce terrain du moins, tout à apprendre à l’homme blanc. Mais ce que nous ignorions, c’est qu’un enjeu de mémoire sous-tendait cette concession : « En gros, les indigènes avaient dérobé le cheval aux conquérants espagnols lors de la révolte des Pueblo, en 1680, et l’avaient ensuite intégré à leur culture », résume Ludovic Orlando, archéologue moléculaire et directeur de recherche au CNRS. « Ça, c’est l’histoire écrite par les explorateurs occidentaux, poursuit ce spécialiste de l’histoire du cheval. Certains peuples indigènes en ont une bien différente. Les Lakota, par exemple, disent qu’ils ont le cheval “depuis des temps immémoriaux”. Et ce sont eux qui sont venus me trouver pour que nous menions cette recherche. »
En 2018, le chercheur a révélé au monde que le cheval de Przewalski, réputé être la dernière espèce sauvage, provient en réalité d’animaux domestiqués retournés à la nature. Alors, sur la requête des anciens de la tribu sioux Oglala, la chercheuse Yvette Running Horse Collin vient lui demander de s’attaquer à une autre icône, le cheval de l’Ouest américain. « Elle a passé trois ans à Toulouse, nous avons coconstruit ce travail, qui est nourri par la science indigène, dont j’avoue avoir découvert l’existence, et par la nôtre », raconte Ludovic Orlando.
Publiée dans la revue Science, vendredi 31 mars, l’étude réalisée par des chercheurs de quinze pays, parmi lesquels de nombreux indigènes américains, fait là encore vaciller quelques statues. Les datations réalisées sur vingt-neuf fossiles de chevaux établissent que trois d’entre eux, retrouvés au Wyoming, au Nebraska et au Kansas, sont antérieurs à 1600, autrement dit environ un siècle avant la fameuse révolte des Pueblo. Ce n’est donc pas au cours de ce soulèvement réussi contre les conquérants espagnols que les indigènes ont découvert le cheval. Exit, donc, la légende forgée par les vainqueurs.
Les « temps immémoriaux » chers aux Lakota allaient-ils faire remonter l’histoire jusqu’aux chevaux anciens du pléistocène supérieur, aujourd’hui éteints, qui peuplaient le nord du continent il y a douze mille ans ? Ou à ceux des Vikings, arrivés à l’est du continent au XIe siècle ? L’analyse de l’ADN ancien a écarté sans ménagement ces hypothèses : tous les échantillons examinés témoignent de chevaux d’origine espagnole. « Sauf un, qui est d’origine anglaise, corrige Ludovic Orlando. De la même manière, quand on analyse les mustangs d’aujourd’hui, on observe des variants espagnols et parfois anglais. En fait, toute l’histoire de la colonisation se retrouve dans le génome de notre plus proche compagnon. »