Les actions des producteurs de semi-conducteurs ont fortement chuté début octobre sur les marchés asiatiques, après l’annonce par Washington de restrictions drastiques de ses exportations de puces électroniques vers la Chine. France 24 décrypte les enjeux stratégiques de ce composant, utilisé par les États-Unis comme une arme pour freiner l’influence chinoise.
La guerre technologique entre les États-Unis et la Chine est entrée dans une nouvelle phase avec l’annonce, vendredi 7 octobre, de mesures drastiques pour limiter les exportations de semi-conducteurs vers la Chine. Le président américain, Joe Biden, compte profiter de l’avance technologique des États-Unis dans ce secteur stratégique pour freiner la progression hégémonique, économique et militaire, de son principal rival.
De son côté, le président Xi Jinping tente de réduire la dépendance chinoise avec pour objectif de devenir leader mondial du secteur.
Essentielles au fonctionnement de nos appareils du quotidien, comme à celui de la technologie de pointe en matière d’armement, ces puces électroniques ont déjà fait l’objet de plusieurs contentieux entre Washington et Pékin.
En 2018, déjà, l’administration Trump avait interdit à l’entreprise chinoise de télécommunications ZTE d’acheter des semi-conducteurs conçus aux États-Unis, menant l’entreprise au bord de la faillite avant de finalement suspendre cette mesure.
Depuis, la crise du Covid-19 est passée par là, révélant encore un peu plus la valeur stratégique de ces puces, dont la pénurie a fait grimper l’inflation et a eu un impact durable sur la production de biens électroniques à l’international.
Pour analyser en détail les implications géopolitiques de ce secteur, France 24 s’est entretenu avec Chris Miller, directeur du programme Eurasie au sein du think tank américain Foreign Policy Research et auteur du livre à succès « Chip War ».
France 24 : Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les puces à semi-conducteurs et comment elles sont devenues aussi centrales dans l’économie mondiale et la vie quotidienne ?
Chris Miller : Les semi-conducteurs sont de petits morceaux de silicium dans lesquels sont gravés des milliards de minuscules circuits. Ces circuits fournissent la puissance de calcul à l’intérieur de presque tous les appareils dotés d’un interrupteur : smartphones, ordinateurs, centres de données, voitures ou bien encore lave-vaisselles. Une personne ordinaire interagit avec des dizaines, voire des centaines de semi-conducteurs chaque jour, sans jamais les voir ou presque.
Cette technologie, inventée aux États-Unis, a-t-elle joué un rôle déterminant pour le secteur militaire américain ?
L’avantage américain en matière d’informatique a été crucial lors de la guerre froide. Dès les premiers jours de la course aux missiles, le Pentagone s’est attaché à appliquer la puissance informatique aux systèmes de défense. La première application majeure des puces a été le système de guidage des missiles, mais aujourd’hui elles sont utilisées dans tous les domaines, des communications aux capteurs en passant par la guerre électronique.
De la même façon qu’une personne quelconque interagit avec des dizaines de puces chaque jour, les militaires dépendent de manière cruciale de la puissance et de la capacité de traitement des signaux des puces. D’ailleurs, comme les militaires commencent à expérimenter des systèmes de plus en plus autonomes, leur dépendance vis-à-vis de ces puces ne fait que s’accroître.
Pensez-vous que la démarche du président Joe Biden, visant à relocaliser aux États-Unis une part plus importante de la production de puces, est une stratégie judicieuse ?
Aujourd’hui, 90 % des puces de processeur les plus avancées au monde sont produites à Taïwan. L’entreprise TSMC est le fabricant numéro un du secteur, grâce à sa taille énorme et à son extraordinaire précision de fabrication. Ses puces de pointe équipent tous les appareils, des smartphones aux PC en passant par les centres de données.
Si cette production devait s’interrompre du fait d’une guerre avec la Chine, le coût pour l’économie mondiale se chiffrerait en centaines de milliards de dollars. Compte tenu de la puissance militaire croissante de Pékin et du nationalisme agressif de Xi Jinping, il s’agit d’un risque devenu trop important pour l’économie mondiale.
De ce point de vue, l’effort visant à diversifier les zones de fabrication de puces de pointe est totalement justifié. Cela explique pourquoi les États-Unis, le Japon et l’Europe tentent tous de renforcer leur position dans la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs.
L’Europe est souvent considérée comme étant en retard dans le domaine de la haute technologie, mais une entreprise néerlandaise, ASML, est parvenue à se tailler une place de choix sur ce marché. Quel rôle joue-t-elle ?
ASML produit des machines essentielles à la fabrication de ces puces de pointe. Cette entreprise est spécialisée dans la lithographie électronique (technique d’impression et de reproduction des circuits) et détient une part de marché de 100 % dans la production des machines les plus avancées dans ce domaine. Elle a affiné ces capacités au fil des ans et est aujourd’hui un fournisseur essentiel pour des entreprises comme Samsung, TSMC et Intel.
Pensez-vous que la Chine dispose des moyens d’égaler, voire de dépasser les États-Unis dans le domaine des semi-conducteurs ?
Depuis plusieurs années, Washington s’inquiète des implications en matière de sécurité nationale d’un rattrapage de la Chine dans le secteur des semi-conducteurs, notamment à la lumière de l’initiative « Made in China 2025 » de Xi Jinping, qui fait des puces une priorité absolue.
La Chine a investi plusieurs dizaines de milliards de dollars dans des programmes gouvernementaux de développement de puces. Ces programmes ont permis de réaliser des progrès substantiels dans certains domaines, notamment dans la conception.
Cependant, dans l’ensemble, la Chine reste loin derrière les capacités de Taïwan, des États-Unis et de la Corée du Sud, notamment en matière de fabrication. En outre, toute la production de puces en Chine repose aujourd’hui sur des machines-outils importées de l’étranger, principalement des États-Unis, des Pays-Bas et du Japon.