Diffusé ce samedi 17 décembre sur TF1, le concours Miss France reste un grand show populaire… et lucratif. L’élection de Miss France 2020, il y a deux ans, a été vue par 8,5 millions de personnes, soit 41,5% de parts d’audience. Un score record qui, en valeur absolue comme en valeur relative, n’avait pas été atteint depuis 2006. Ce monument traditionnel de l’audiovisuel français est une source de revenu fiable, pour le diffuseur TF1 comme pour le producteur Banijay.
“C’est l’une des meilleures affaires de l’année pour TF1, explique Frédéric Gimello-Mesplomb, spécialiste des médias à l’université d’Avignon. C’est un business juteux, on peut le dire sans ambiguïté ». Les audiences de Miss France, depuis quinze ans, affichent une stabilité impressionnante. Les parts de marché oscillent, depuis l’élection de Miss France 2009, entre 34,1% et 41,5% de part de marché, et entre 7 et 8,5 millions de téléspectateurs. Des audiences qui poussent la moyenne annuelle de la chaîne vers le haut: en 2020, la part d’audience de TF1 sur l’ensemble de l’année était de 19,2%.
📊[ AUDIENCES ]
👑 ÉNORME SUCCÈS et meilleure audience depuis 2006 pour la cérémonie de @MissFrance 2021 hier soir sur @TF1 👏🏻
⭐️ 8,6 M de tvsp
📈 Pic à 10,4 M de tvsp⭐️ 53% PdA FRDA-50
⭐️ 50% PdA 25-49
⭐️ 62,5% PdA 4-14
🏆 72,5% PdA 15-24 – RECORD HISTORIQUE
⭐️67% PdA 15-34 pic.twitter.com/nWYe61rOkQ— EndemolFr (@EndemolShineFr) December 20, 2020
Un succès publicitaire
Les cibles commerciales prisées des publicitaires sont fidèles au poste (de télévision) pour regarder le concours. Parmi elles, la “femme responsable principale des achats du foyer de moins de 50 ans”, la plus précieuse aux yeux des annonceurs. En 2020, la part de marché du concours sur cette cible a atteint 53%. Un score époustouflant: à titre de comparaison, jeudi 9 décembre 2021, avec un téléfilm, la première chaîne de France n’a atteint que 13,2% de part d’audience sur ce public cible.
Du coup, les spots de pub s’arrachent à prix d’or. Les estimations des recettes publicitaires de TF1 pour la soirée de Miss France tournent autour de 5 millions d’euros. « Au début des années 2010, on avait compté 118 spots publicitaires encadrant la soirée, soit plus de 40 minutes de publicité cumulée », explique Frédéric Gimello-Mesplomb.
Le bonus des SMS surtaxés
S’y ajoutent les recettes des SMS surtaxés pour voter, à 0,65 centimes d’euros. Au total, 600 000 euros seraient engrangés chaque année par le célèbre concours de beauté grâce aux votes – entre 900.000 et un million de SMS envoyés. Les animateurs s’y entendent pour pousser au vote, notamment pendant la dernière heure, lorsque l’étau se resserre pour départager les candidates.
Mais les Miss France ne profitent pas qu’à TF1. Si la chaîne diffuse l’émission à succès, c’est le groupe Banijay qui la produit. En 2019, ce géant de l’audiovisuel français a en effet racheté Endemol, société productrice de l’émission depuis 2002. La société Miss France s’occupe désormais elle aussi en partie du show. Alexia Laroche-Joubert, productrice chevronnée chez Banijay (Loft Story, Star Academy…), en a pris la présidence en octobre 2021.
De nombreux partenaires
La femme d’affaires avait alors expliqué que le but de la stratégie de l’entreprise Miss France était de “regrouper la marque Miss France et le programme événementiel”. Car l’émission télévisuelle n’est que la partie immergée de l’iceberg, explique Frédéric Gimello-Mesplomb: “Il y a aussi beaucoup de partenaires: des industriels, des placements de produits, du city branding”, c’est-à-dire le fait de faire rayonner une ville via son image de marque.
Du côté des partenaires, on retrouve Peugeot. La célèbre marque offre depuis plus de trente ans une voiture à Miss France. La marque automobile, jointe par Challenges, explique vouloir donner une image de la femme moderne qui sillonne la France en voiture. Plusieurs objectifs donc: féminiser son image, toucher une large audience ou encore mettre en valeur ses modèles électriques qu’elle a choisi de valoriser dans le cadre de ce partenariat.
Amandine Petit, @MissFrance 2021, a pris possession de sa #Peugeot208 100 % électrique, à la concession @peugeot Caen.
Nous lui souhaitons bonne route au volant de sa nouvelle voiture !@GroupeMary pic.twitter.com/pi0dLfkAbq— Peugeot France (@PeugeotFR) July 13, 2021
Des financements par les Villes
Chaque partenaire a son propre contrat, en fonction de ses moyens. Le groupe LPG, 280 salariés, fabricant de matériel esthétique et médical, est partenaire de Miss France cette année. D’abord partenaire d’élections régionales de Miss, la marque a passé le cap. « Je pense qu’on a un plus petit contrat que d’autres partenaires, car on apparaîtra uniquement lors de la séquence des cadeaux, et non lors des spots publicitaires », explique Mandarine Basset, responsable communication du groupe. C’est Sylvie Tellier, par ailleurs égérie de la marque, qui lui avait soufflé l’idée du partenariat.
Le city-branding s’opère, lui, à travers les venues de Miss France dans des villes, notamment la ville qui reçoit le grand concours national. Celle-ci finance en partie sa tenue. « En 2021, Caen, qui organisait le concours, a refusé de donner le montant. Mais en 2019, à Marseille, il était de 150000 euros », dévoile Ursula Le Menn, la porte-parole d’Osez le féminisme, qui s’oppose fermement à ces subventions.
L’attaque au portefeuille
L’association féministe activiste a en effet annoncé en octobre 2021 attaquer en justice le concours de beauté qui, selon son communiqué, « exploite des femmes en un spectacle sexiste, discriminant et lucratif ». En cause: la non-rémunération des Miss pour leur participation au concours, qui serait illégale. Mais derrière, Osez le féminisme entend remettre en cause plus largement le business-model de Miss France En effet, « 29 femmes rémunérées pendant au minimum un mois, plus le temps de repos, ça fait beaucoup d’argent », explique Violaine de Filippis, avocate de l’association sur ce dossier. Or Miss France est une petite structure. En 2017, Sylvie Tellier expliquait avoir sept employés permanents, et jusqu’à 300 personnes mobilisées pour l’élection.
La société Miss France, via Alexia Laroche-Joubert, a annoncé en novembre 2021 que les Miss France auraient un contrat de travail pour la seule soirée de l’élection. Insuffisant pour Violaine de Filippis, qui veut compter les semaines de répétition et toutes les interventions des miss régionales avant le grand soir. Là, c’est tout l’écosystème économique qui pourrait être bouleversé.
D’autant plus que si les prud’hommes reconnaissent que les Miss doivent être rémunérées, les Miss des deux dernières éditions pourraient réclamer une compensation. Surtout, « les Miss dépendraient alors de la convention collective des artistes-interprètes », continue Violaine de Filippis. Or, selon cette convention, il est interdit d’avoir d’autres critères physiques à l’embauche que le sexe. Finie, donc, la beauté comme critère « discriminatoire », ce qui remettrait en question la nature même du concours.
Un carton auprès des jeunes
Osez le féminisme envisage aussi une procédure pénale, qui infligerait des sanctions financières à Miss France. Le collectif veut notamment s’attaquer aux comités régionaux de Miss, des associations loi 1901, mais qui, selon l’avocate Violaine de Filippis, ne sont pas autonomes de la société Miss France qui, elle, poursuit un but lucratif. Ursula Le Menn assume son but : « On sait que ce qui va les toucher, c’est l’argent. Et l’idée de travail dissimulé peut impacter les annonceurs. » Le verdict est attendu le 6 janvier 2023.
Pas de quoi troubler les dirigeantes de la société Miss France, pour qui le succès de l’émission est une réponse aux polémiques. Surtout si l’on se penche sur ses parts de marché auprès des plus jeunes, où elle fait un carton: 72,5% d’audience auprès des 15-24 ans!