La Tunisie est à l’arrêt, coincée entre une transition démocratique qui n’a pas répondu aux attentes de la population et une évolution économique minée par le politique et ses dérives aussi arbitraires qu’irrationnelles. Résultat : une décennie de perdue, durant laquelle les tentatives pour sortir le pays de son marasme économique – la croissance annuelle du PIB a été proche de zéro sur la période 2011-2020 – se sont épuisées en de vaines querelles politiques. Et Tunis ne semble pas au bout de ses peines, car à la myopie économique post-25 juillet s’ajoute la menace protectionniste, étendard d’un populisme impuissant à retrouver les chemins de la prospérité.
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Mesures arbitraires
La tentation apparaît grande, pour certains responsables politiques, de critiquer ou de remettre en question les accords de libre-échange avec le principal partenaire commercial de la Tunisie, l’Union européenne (UE). Il serait naïf et trompeur de prétendre que l’on peut améliorer la situation économique, créer des emplois et attirer des investissements en isolant la Tunisie du géant commercial européen. L’argument souvent utilisé est qu’il faut rendre plus difficile l’accès aux produits étrangers afin protéger les industries et les emplois domestiques de la concurrence européenne notamment, ce qui permettrait de répondre aux fortes demandes de soutien formulées par les couches de la population particulièrement touchées par la crise économique. Cet argument est illusoire et contreproductif.
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Ainsi, les mesures de restriction des importations à travers l’application de mesures non tarifaires prévues par les autorités tunisiennes sont arbitraires, non notifiées à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et contraires à l’esprit de l’accord commercial avec l’UE. C’est le cas, par exemple, de la révision de la valeur référentielle servant de base au calcul et au paiement des droits et taxes. Il en est de même aussi pour les mesures prises pour prélever 10 % de la valeur des marchandises importées, lesquelles handicapent les entreprises européennes exportatrices et créatrices d’emplois en Tunisie.
Ces mesures de restriction des importations viennent s’ajouter à la hausse conséquente des droits de douanes qui a affecté certaines exportations européennes depuis le 1er janvier 2022, et suscitent l’inquiétude de part et d’autre de la Méditerranée. Bruxelles déplore un « système de contrôle technique à l’importation en place […] complexe et peu transparent, qui ne semble pas basé sur une analyse des risques et représente une importante barrière à l’entrée ». Et d’ajouter : « L’obligation d’importer directement de l’usine sans passer par l’intermédiaire des distributeurs et de soumettre la facture de l’usine pour obtenir l’autorisation d’importation remet fondamentalement en question les relations commerciales et contractuelles entre partenaires économiques et sera rédhibitoire. »
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De plus, « […] chaque opération d’importation [doit] être autorisée au préalable par le service compétent, [ce qui] correspond à une licence non-automatique à l’importation. Cela n’est pas conforme aux engagements bilatéraux de la Tunisie avec l’[UE] ni avec [l’OMC], comme soulevé dans le cadre des mesures restrictives mises en place en 2020 pour l’importation des fromages et chocolat, malheureusement toujours en vigueur ».
Un marché domestique limité
Avec plus de la moitié des échanges commerciaux de la Tunisie qui se font vers des pays de l’Union européenne, cette dernière représente le premier partenaire commercial du pays. Les déficits commerciaux tant décriés représentent en fait le prix d’un dynamisme industriel auquel l’exportation vers l’UE assure un débouché essentiel, car le marché intérieur tunisien ne peut lui suffire. La problématique n’est donc pas tant de protéger les industries tunisiennes sur un marché domestique qui montrera vite ses limites – même si cela peut soulager la balance en devises à court terme –, que de les pousser à l’international, ce à quoi les accords de libre-échange sont essentiels.
Notre économie se caractérise par une forte orientation internationale
Dans ce contexte, l’objectif prioritaire de notre politique économique est d’améliorer les conditions cadre régissant l’accès de nos produits sur les marches tiers. Il s’agit, d’une part, de placer nos acteurs économiques sur un pied d’égalité avec leurs principaux concurrents pour ce qui est de l’accès aux marchés étrangers et, d’autre part, de faire en sorte que cet accès soit, autant que possible, stable et libre d’entraves.
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Le marché intérieur tunisien étant limité, notre économie se caractérise donc par une forte orientation internationale. C’est-à-dire que notre prospérité dépend en grande partie des échanges commerciaux de biens et de services ainsi que des investissements internationaux. L’amélioration constante de l’accès aux marchés étrangers est par conséquent un objectif fondamental de la politique économique extérieure de la Tunisie.
Économie de marché
Nos entreprises industrielles ont amorcé un réel, quoique timide, décollage, qu’il s’agit d’encourager et non pas d’inhiber par des mesures arbitraires visant à soulager de façon éphémère le budget national. Ainsi, pour son salut, la Tunisie devra passer d’une économie de rente, attentiste, à une économie de marché, qui lui permettra de développer et de diversifier plus activement sa participation au commerce international et aux chaînes de valeur mondiales (CVM), afin de stimuler sa croissance et la création d’emplois.
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L’intégration de la Tunisie dans le commerce international se fera de plus en plus au travers de sa participation aux CVM, un phénomène traduisant l’essor des réseaux de distribution et d’approvisionnement transnationaux qui fragmentent les processus productifs dans l’objectif de tirer le meilleur parti des complémentarités entre les économies et ainsi profiter d’une demande et d’une innovation illimitées d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement.
Toutefois, cette gageure n’a de chance de se concrétiser que si l’on réalise que l’économie de marché n’est pas un mal, que le profit n’est pas une tare et que la mondialisation n’est pas forcément un danger. Il est donc essentiel de raconter autrement l’enjeu des CVM, de l’ouverture au commerce et de l’intégration régionale et de faire en sorte que ces facteurs réunis constituent plutôt une source de richesse et un prélude à la justice sociale.