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la grève de la faim d’Alaa Abdel-Fattah, détenu politique, met la pression sur l’Égypte

la grève de la faim d'Alaa Abdel-Fattah, détenu politique, met la pression sur l'Égypte



alaa 2011

Alaa Abdel-Fattah, le détenu politique le plus célèbre d’Égypte, a durci dimanche sa grève de la faim et arrêté de s’hydrater afin de dénoncer les violations des droits de l’Homme en Égypte, pays hôte de la COP27. Sa mère, interrogée par France 24, appelle le monde à agir et à ne pas se laisser tromper par les autorités égyptiennes.

Alors que les dirigeants du monde entier étaient réunis pour la COP27, lundi 7 novembre, dans la station balnéaire égyptienne de Charm-el-Sheikh, Laila Soueif s’est rendue à la prison de Wadi el-Natrun, au nord du Caire, pour voir son fils, Alaa Abdel-Fattah, l’un des défenseurs des droits de l’Homme les plus célèbres d’Égypte.

Emprisonné depuis 2021, l’homme de 40 ans a cessé de s’hydrater dimanche, durcissant une grève de la faim entamée sept mois plus tôt dans une tentative désespérée pour obtenir sa libération.

Sa mère, Laila Soueif, professeure de mathématiques à l’Université, est elle aussi engagée dans la défense des droits de l’Homme. Elle est arrivée à la prison avec des livres, des lettres et des vêtements propres pour son fils. Mais, à midi, heure locale, elle a dû se résigner : elle ne verrait pas son fils.

« Je ne le verrai pas aujourd’hui, a-t-elle confié par téléphone à France 24, depuis la salle d’attente pour les familles. Il n’y a pas de visite de prévue. J’attends ici, j’espère avoir une lettre. »

Icône révolutionnaire

La dernière lettre d’Alaa Abdel-Fattah reçue par Laila Soueif date du lundi 31 octobre. Le militant à la double nationalité, britannique et égyptienne, informait sa famille que, s’il n’était pas libéré, il arrêterait de boire de l’eau le dimanche 6 novembre, jour d’ouverture de la COP27.

Surnommé « l’icône de la révolution de 2011« , Alaa Abdel-Fattah a commencé sa grève de la faim en prison le 2 avril 2022, ne s’alimentant plus que de miel et d ‘eau. Il est ensuite remonté à 100 calories par jour – un apport bien en dessous des 2 000 calories quotidiennes nécessaires au bon fonctionnement du corps humain.

En arrêtant de s’hydrater, alors qu’il est déjà émacié et affaibli par ces mois de grève de la faim, Alaa Abdel-Fattah a montré qu’il était prêt à payer sa liberté du prix de sa vie. Un ultime sacrifice, qu’il entreprend aussi pour attirer l’attention sur le sort de milliers de personnes – défenseurs de droits humains, journalistes, étudiants, opposants politiques et manifestants pacifiques – détenues dans les prisons égyptiennes, et qui bénéficient d’une couverture médiatique bien moins importante que lui. 

Après l’annonce de sa grève de la soif, les organisations de défense des droits de l’Homme ont appelé à sa libération. La secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, a prévenu dimanche que la COP27 toute entière serait entachée si les autorités égyptiennes laissaient Alaa Abdel-Fattah mourir en prison.

« Si les autorités égyptiennes ne veulent pas que cela se termine par une mort qu’elles auraient pu – et dû – empêcher, elles doivent agir maintenant », a ainsi affirmé la secrétaire générale d’Amnesty International devant des journalistes réunis au Caire.

Agnès Callamard a également rencontré Laila Soueif dans la maison familiale située dans la capitale égyptienne. « Mère Courage. Inspirante. Émouvante », a-t-elle twitté, postant une photo où elle tient la main de Laila Soueif en signe de solidarité.

Le pouvoir égyptien à l’offensive

Signe que le sujet est sensible dans un pays régulièrement épinglé pour ses violations des droits humains, la conférence de presse de sa sœur, Sanaa Seif, à la COP27 a été interrompue lundi par Amr Darwich, un député pro-Sissi. Le service de sécurité de l’ONU, organisateur officiel du sommet sur le climat, l’a contraint à sortir de la salle, alors qu’il tonnait : « On parle d’un citoyen égyptien détenu de droit commun, pas d’un détenu politique, n’essayez pas de vous servir de l’Occident contre l’Égypte. » « Alaa Abdel-Fattah, a-t-il ajouté, s’en est pris à l’armée et à la police de son pays ».

Le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, président de la COP27, est lui aussi monté au créneau lundi soir. Selon lui, Alaa Abdel-Fattah « bénéficie de tous les soins nécessaires en prison », a-t-il déclaré à une télévision, ajoutant que l’Égypte n’avait pas formellement reconnu jusqu’ici sa nationalité britannique. Pour Sanaa Seif, ces « soins » pourraient en réalité signifier que son frère sera « nourri de force ».

Condamné pour « fausse information » 

Depuis 2014 et l’arrivée au pouvoir du président Adbel Fattah al-Sissi, à la suite  d’un coup d’État ayant chassé du pouvoir les Frères Musulmans, l’Égypte est régulièrement pointée du droit pour la brutalité de la répression visant les opposants.

En octobre 2021, l’ancien chef d’état-major, devenu président, a déclaré la fin de l’état d’urgence. Mais cette annonce a aussitôt été suivie de l’adoption par le Parlement de lois élargissant les compétences des tribunaux militaires et définissant des délits de « diffusion de fausses informations ».

Alaa Abdel-Fattah a passé la majeure partie des dix dernières années en prison, incarcéré pour différents motifs. Sa dernière arrestation, le 29 octobre 2021, est intervenue six mois seulement après la fin de sa peine précédente, et alors qu’il était encore en liberté conditionnelle.

Condamné cette fois pour « diffusion de fausses informations portant atteinte à la sécurité de l’État », le militant a été condamné à cinq ans de prison pour avoir partagé un tweet dénonçant les conditions de détention en Égypte. Un comble, lorsque l’on sait à quel point Alaa Abdel-Fattah et sa famille connaissent bien le fonctionnement du système judiciaire et carcéral égyptien.

Une famille militante 

« Alaa Abdel-Fattah vient d’une famille de militants égyptiens qui a toujours tenu tête aux autorités », explique Souleimene Benghazi, d’Amnesty International Égypte. « Les autorités égyptiennes semblent déterminées à lui faire payer son militantisme. »

Son père, Ahmed Seif el-Islam, avocat et défenseur des droits de l’Homme, n’a ainsi fait qu’entrer et sortir de prison entre 1970 et 2010. Son dernier emprisonnement date de 2011, trois ans seulement avant de mourir à l’âge de 63 ans.

Sa sœur cadette, Sanaa Seif, a, elle, été arrêtée en 2014, alors qu’elle protestait contre une loi interdisant de manifester. Relâchée un an plus tard, elle a été à nouveau emprisonnée en juin 2020, alors qu’elle tentait de déposer une plainte pour agression auprès du bureau du procureur.

Après sa libération, elle a organisé des sit-ins à Londres, devant le ministère britannique des Affaires étrangères, et s’est rendue lundi à Sharm-el-Sheikh pour appeler à la libération d’Alaa Abdel-Fattah. 

Leur sœur Mona, troisième de la fratrie, milite elle aussi pour la défense des droits de l’Homme.

Prison neuve et violations des droits de l’Homme 

La décision d’organiser la COP27 en Égypte a été critiquée par plusieurs défenseurs de droits de l’Homme. Un rapport d’Amnesty International publié en septembre dénonce ainsi « des crimes généralisés au regard du droit international et des violations graves des droits de l’Homme commises en toute impunité [par les autorités égyptiennes] ».

Ce rapport est sorti un an après le lancement par le gouvernement égyptien d’une Stratégie nationale des droits humains (NHRS). Le président Adbel Fattah al-Sissi s’était alors félicité des progrès effectués par son administration en la matière et avait ouvert de nouveaux pénitenciers à Badr et Wadi el-Natru, dans un geste salué comme un effort de modernisation.

Alaa Abdel-Fattah et d’autres prisonniers ont alors été transférés du complexe pénitentiaire de Tohra, qui jouit d’une mauvaise réputation, vers la nouvelle prison de Wadi el-Natru, pour bénéficier de meilleures conditions de détention. 

Mais ces mesures cosmétiques n’ont convaincu ni les défenseurs des droits de l’Homme ni les familles des dissidents emprisonnés. Dans son rapport de 48 pages, Amnesty International note que le NHRS « présente une image profondément trompeuse et parfois complètement fausse de la situation des droits de l’Homme en Égypte ».

Rishi Sunak promet de trouver une solution 

Face aux appels lancés par la famille, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a promis de faire du cas du militant binational l’une des priorités de son gouvernement.

« Je vais continuer à rappeler au président Adbel Fattah al-Sissi l’importance que nous attachons au cas d’Alaa et à la fin de ce traitement inacceptable », a ainsi écrit Rishi Sunak dans une lettre adressée à Sanaa Seif le 5 novembre.

Lundi, son cabinet a affirmé que le Premier ministre britannique avait exprimé sa « profonde inquiétude » pour Alaa Abd-el Fattah, lors d’une rencontre avec le président égyptien en marge de la COP27. « Le Premier ministre a dit qu’il espérait voir cette question résolue aussi vite que possible et qu’il continuerait à faire pression pour que cela avance », a ainsi écrit Downing Street dans un communiqué.


L’ONU, le président Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz ont eux aussi appelé à la libération du militant.

‘Greenwashing’ des droits humains

Dans son adresse de bienvenue sur le site officiel de la COP27, Adbel Fattah al-Sissi a promis que « l’Égypte ne [reculerait] devant aucun effort pour que la COP27 devienne le moment où le monde est passé de la négociation à la mise en œuvre, où les paroles ont été traduites en actions, et où nous nous sommes engagés collectivement sur la voie de la durabilité, vers une transition juste et un avenir plus vert pour les générations à venir. »

Mais, encore une fois, la rhétorique ne convainc pas la plupart des défenseurs des droits de l’Homme. « Les autorités égyptiennes se servent des événements internationaux pour « verdir » leur bilan en matière de droits humains », affirme Souleimene Benghazi d’Amnesty International Égypte.

« Avant la COP27, elles ont essayé de montrer à la communauté internationale qu’elles s’efforçaient d’améliorer leur bilan en matière des droits de l’Homme. C’est un exercice de communication pour eux, cela ne peut être sincère quand des milliers de personnes sont emprisonnées pour avoir exercé leur liberté d’expression, leur liberté d’association et sont privées de leur droit à un procès équitable « , développe le militant.

Les autorités égyptiennes n’ont fait aucun commentaire après qu’Alaa Abdel-Fattah a arrêté de s’hydrater. Ce silence autour du militant, alors même que la COP27 le place sous le feu des projecteurs, ne surprend pas les spécialistes des droits de l’Homme en Égypte. « Il est vraiment difficile de comprendre ce que font, ou plutôt ne font pas, les autorités égyptiennes sur le cas d’Alaa », soupire Souleimene Benghazi. « Je peux simplement dire qu’elles cherchent à faire pression sur toute sa famille. »

« Je prends sur moi » 

Mais Laila Soueif n’est pas femme à se laisser faire. Lors des visites qu’elle rend à son fils, l’indomptable professeure de mathématique garde ses émotions sous contrôle. « Je prend sur moi, affirme-t-elle. Nous avons seulement vingt minutes, nous sommes séparés par une vitre, les conditions ne sont pas faciles. Je l’écoute, je prends des notes, et je lui dis que, quoi qu’il décide, nous le soutiendrons. »

Avec des militants comme Agnès Callamard, Laila Soueif concentre toute son énergie sur la libération de son fils et avertit les autorités égyptiennes : elles n’ont plus que quelques jours pour agir avant qu’il ne soit trop tard.

« Je suis très inquiète », confie Laila Soueif au téléphone, depuis la salle d’attente de la prison de Wadi el-Natrun. « Je suis également très fière de ce qu’il fait, de l’écho que cela suscite à l’international et de la lumière que cela permet de projeter sur la situation des prisonniers et des droits de l’Homme en Égypte. »

Cet article a été traduit et adapté de sa version originale en anglais par Lou Roméo. 



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