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Dans la province de Castellón, sur la côte est de l’Espagne, un chef d’entreprise de l’Association nationale de frittes, d’émaux et de pigments de céramique (Anffecc) se lamente, sous couvert d’anonymat, des effets de la rupture, annoncée le 8 juin par l’Algérie, du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération qui liait les deux pays depuis vingt ans : « Immédiatement, les douanes ont cessé de distribuer nos produits à nos clients. Et les bateaux de transit n’ont plus voulu charger la marchandise dans les ports espagnols, n’ayant pas la garantie de pouvoir décharger en Algérie. »
Alger a également décidé de geler « les domiciliations bancaires des opérations de commerce extérieur des produits et services depuis et vers l’Espagne », poursuit l’entrepreneur : « Facturer par le biais d’un autre siège dans un autre pays est aussi impossible, car tout certificat d’origine espagnol est automatiquement bloqué. Dans notre cas, cela suppose la perte de 20 % de nos ventes. » Selon l’Anffecc, la rupture des relations commerciales a déjà coûté plus de 50 millions d’euros au secteur, dont l’Algérie constituait jusque-là le second marché derrière l’Italie.
Quatre mois après l’adoption de ces mesures de représailles contre Madrid à la suite de la décision du gouvernement du socialiste Pedro Sanchez de soutenir le plan marocain sur le Sahara occidental, les dégâts peuvent déjà être chiffrés. Entre juin et juillet, l’arrêt des transactions entre les deux pays a entraîné 235 millions d’euros de manque à gagner pour l’économie espagnole : les exportations vers l’Algérie se sont élevées à 66 millions d’euros en juin et à peine 28 millions en juillet, soit 94 millions d’euros sur les deux mois, contre 329 millions en juin et juillet 2021, selon les statistiques du ministère espagnol du tourisme, de l’industrie et du commerce.
Des liaisons aériennes hors de prix
Madrid voulait croire que la colère d’Alger, qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, serait de courte durée. « L’Algérie est un partenaire fiable », n’a cessé de répéter le ministre des affaires étrangères, José Manuel Albares. Las, force est de constater que le conflit est parti pour durer.
Dans un entretien au site d’information algérien TSA publié le 4 octobre, le président du Cercle de commerce et d’industrie algéro-espagnol (CCIAE), Djamel Eddine Bouabdallah, a confirmé que « depuis le 8 juin, il n’y a aucun échange » entre les deux pays « hormis le gaz et le pétrole » et que « les entreprises les plus pénalisées sont les PME algériennes industrielles », en particulier du secteur de la céramique, du papier et de la pièce de rechange, ainsi que « les usines de dessalement d’eau, dont la maintenance était tenue par des entreprises espagnoles ».
L’association espagnole des producteurs de viande de veau, Provacuno, s’est également plainte de la situation. « Avant 2020, l’Algérie était notre première destination pour l’exportation hors de l’Union européenne [UE], avec près de 20 000 tonnes vendues par an. Avec la pandémie, le pays a restreint les importations, et en 2021 nous n’avons pu vendre que durant le ramadan. La crise diplomatique a empêché que les flux se rétablissent », souligne son directeur, Javier Lopez.
Tout comme pour la céramique, la crainte du secteur est de perdre des parts de marché qui ne pourront pas être récupérées une fois la crise passée… tandis que d’autres pays sont susceptibles de bénéficier de cette situation. Alors que les exportations espagnoles vers l’Algérie se sont effondrées, les exportations françaises ont d’ailleurs progressé de 32 % au premier semestre 2022.
Par ailleurs, les liaisons aériennes entre les deux pays sont devenues très rares et hors de prix depuis qu’Air Algérie a décidé de ne plus desservir l’Espagne et qu’Alger a refusé à Iberia de reprendre les fréquences pré-pandémie.
La facture de gaz pourrait grimper
Pour l’Espagne, cependant, le plus important est de maintenir les flux de gaz. Jusqu’en novembre 2021, l’Algérie lui fournissait près de la moitié de ses importations via deux gazoducs sous-marins : le Medgaz, entre Almeria et Beni Saf, et le gazoduc Maghreb-UE, qui traverse le détroit de Gibraltar et passe par le Maroc. Mais en octobre 2021, Alger a coupé le débit de ce dernier en raison d’une crise avec Rabat. En conséquence, l’Algérie ne fournit plus qu’un quart du gaz importé par l’Espagne, à travers le Medgaz et des méthaniers – un volume qui n’a pas pour l’heure été affecté par la crise diplomatique entre les deux pays.
« L’Algérie a mis en marche un quatrième compresseur sur le Medgaz pour augmenter son débit vers l’Espagne et nous lui avons demandé de poursuivre les tâches de maintenance du gazoduc qui passe par le Maroc, car nous espérons qu’il puisse à un moment rentrer de nouveau en fonctionnement. A chaque fois, nous avons pu voir que c’est un pays sérieux, a souligné la ministre espagnole de la transition énergétique, Teresa Ribera, lors d’un entretien au Monde début septembre. La relation avec l’Algérie est une relation stratégique et historique qui va bien au-delà du gaz et qui, j’en suis sûr, reviendra à la normale dès que possible. »
Si les livraisons se sont poursuivies relativement normalement ces derniers mois, la facture, en revanche, devrait augmenter considérablement. L’Algérie renégocie difficilement depuis des mois avec l’espagnol Naturgy et la compagnie algérienne Sonatrach la révision des prix du contrat d’approvisionnement en gaz. Jusqu’à présent, le tarif appliqué à l’Espagne était lié au prix du Brent. Or Alger veut qu’il soit à présent fixé sur l’indice TTF du marché néerlandais, très supérieur et utilisé comme référence dans le reste de l’Europe. Si les termes du contrat sont protégés par une clause de confidentialité, l’addition, selon les experts, pourrait grimper de 70 % pour l’Espagne.