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Les regards se tournent vers Twitter, racheté vendredi par Elon Musk après des mois d’incertitude. Le milliardaire américain, fidèle à ses valeurs libertariennes, a affirmé vouloir alléger la modération pour en faire un espace de liberté d’expression absolue. Mais il risque de se heurter aux pressions des marques, soucieuses de préserver leur image en ligne.
Quel avenir pour Twitter ? Après son rachat par Elon Musk pour 44 milliards de dollars, la direction que va prendre la firme à l’oiseau bleu interroge. Le milliardaire américain, qui s’est rebaptisé « Chief Twit » – crétin en chef – sur son compte personnel, n’a pas caché sa volonté d’y apporter de grands changements.
L’objectif affiché depuis des mois par l’homme le plus riche du monde est clair : assouplir, voire supprimer, les règles de modération pour faire de la plateforme un espace de « free speech » – de totale liberté d’expression. Quitte à voir déferler les fausses informations et les appels à la haine en ligne sur un réseau central en termes d’influence.
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Risques économiques
Mais, remarque Virginie Clève, consultante en stratégie digitale, la méthode n’est pas sans risque. Car, en « taillant dans le vif », le milliardaire américain peut fragiliser l’entreprise, déjà éprouvée par le contexte économique mondial et les mois d’incertitude qui ont précédé le rachat et abouti au départ de nombreux cadres.
« L’esprit d’ouverture et de liberté de parole qui a longtemps prévalu chez Twitter entrait déjà en contradiction avec les politiques des marques, qui préfèrent investir dans de la publicité placée dans des zones contrôlées afin de ne pas risquer de salir leur image », abonde ainsi Dominique Boullier, spécialiste des usages du numérique à Sciences Po Paris. « Si Elon Musk dérégule encore davantage Twitter, il risque de leur poser problème. »
« La plateforme publicitaire la plus respectée au monde »
Le besoin de publicité de Twitter, dont Elon Musk a affirmé vouloir faire « la plateforme publicitaire la plus respectée au monde » pourrait donc paradoxalement jouer le rôle de garde-fou. Car si Twitter reste incontournable en termes d’influence, il n’a jamais réussi à devenir réellement rentable.
Contrairement à celle de ses rivaux, Meta/Facebook ou TikTok, la puissance financière de l’entreprise est en effet limitée : le groupe californien a ainsi réalisé1,2 milliard de dollars de chiffre d’affaires entre avril et juin 2022, soit 35 fois moins que son concurrent Meta.
À cause, justement, de son incapacité à « monétiser complètement », c’est-à-dire à valoriser économiquement son audience, via des placements publicitaires et des publicités programmatiques.
Rassurer les investisseurs
Face à ce risque, Elon Musk a cherché à rassurer les investisseurs : il a promis jeudi qu’il ne voulait pas faire de Twitter un « endroit infernal, ouvert à tous, où tout peut être dit sans conséquence », mais une « place publique » et un lieu de « débat sain et sans violence ».
Une trop grande dérégulation l’exposerait en outre à des sanctions de la part des États, même si ceux-ci peinent à réguler les plateformes. La Commission européenne vient ainsi d’adopter le Digital Services Act, un paquet de mesures qui « tente de pousser les réseaux sociaux à accroître leur transparence et leur modération », selon la spécialiste des questions numériques, Anuchika Stanislaus.
Un « carrefour »
Son efficacité reste néanmoins à prouver : tout juste adopté, le plan ne devrait pas entrer en mesure avant 2024. Mais, espère Anuchika Stanislaus, « la jurisprudence qui va en découler pourra à terme obliger les plateformes à jouer le jeu de la modération ».
En attendant, Elon Musk et Twitter se trouvent donc à un « carrefour », selon Dominique Boullier : soit le milliardaire va jusqu’au bout de son idée et allège considérablement la modération, au risque de s’aliéner des investisseurs ; soit il met de l’eau dans son vin en optant pour une politique éditoriale contrebalançant les effets pervers que peut avoir la viralité du réseau.
Mais il peut tout aussi bien réussir à faire les deux : « Elon Musk est malin et il veut faire du business », conclut Dominique Boullier. « Il peut trouver un entredeux, avec des solutions algorithmiques et techniques qui résolvent cette tension et font de cette difficulté un avantage. »