Le président américain, Joe Biden, a reconnu, mercredi, qu’une enquête sur les liens financiers et commerciaux d’Elon Musk avec la Chine ou l’Arabie saoudite pouvait s’avérer utile. L’enjeu ? Déterminer si le nouveau propriétaire de Twitter est devenu une menace pour la sécurité nationale américaine.
Ce sont 1,89 milliard de dollars qui mettent même Joe Biden mal à l’aise. Le président américain a estimé, mercredi 9 novembre, que cette importante somme mise au pot par l’Arabie saoudite pour aider Elon Musk à acquérir Twitter était de nature à justifier “qu’on s’intéresse à la coopération et aux relations commerciales [du patron de Tesla] avec des pays étrangers”.
Le but ? Établir si le nouveau propriétaire de Twitter est un homme sous influence de l’étranger et pourrait, à ce titre, représenter une “menace pour la sécurité nationale américaine”, comme l’a suggéré un journaliste américain qui a posé la question au locataire de la Maison Blanche.
Elon Musk, l’ami de la Chine et de l’Arabie saoudite ?
Ce journaliste n’est pas le seul. Le sénateur démocrate Chris Murphy a également appelé, le 30 octobre, à l’ouverture d’une enquête afin d’établir si les connexions commerciales et financières d’Elon Musk allaient permettre à des pays comme “l’Arabie saoudite d’exercer une influence sur une plateforme importante de communication politique comme Twitter”.
Jusqu’à présent, les liens d’Elon Musk avec des puissances étrangères semblaient se limiter à la Chine. L’importance du marché chinois pour les voitures électriques de Tesla avait incité plusieurs médias, en juin 2022, à souligner le risque que Pékin puisse se servir de ce levier pour inciter l’homme d’affaires américain à rendre Twitter plus sino-compatible.
Elon Musk avait déjà montré par le passé une volonté de plaire aux maîtres de Pékin. En mars 2022, il avait ouvert une succursale de Tesla dans le Xinjiang, malgré les critiques occidentales contre la politique de répression menée dans cette région contre la minorité des Ouïghours.
Quelques mois plus tard, en août, il avait signé une tribune exposant sa vision des innovations du futur dans le magazine officiel de l’administration chinoise de régulation de l’Interne – censeur en chef du web en Chine.
Mais ce n’était qu’un début. La publication, en octobre, de la liste des investisseurs ayant aidé Elon Musk à réunir les 46,5 milliards de dollars pour racheter Twitter a laissé penser que d’autres pays autoritaires s’étaient peut-être offert le droit de peser sur l’avenir du célèbre réseau social.
En effet, il y a les 1,89 milliard de dollars provenant du fonds d’investissement saoudien, mais la Qatar Holding a aussi participé au rachat à hauteur de 375 millions de dollars tandis que Binance, le géant sino-canadien des cryptomonnaies, a avancé 500 millions de dollars pour finaliser l’acquisition.
“La Qatar Holding et le fonds saoudien ont tous les deux des liens directs avec le gouvernement de leur pays respectif”, précise le Brookings Institute, dans une analyse des implications pour la sécurité nationale américaine de l’acquisition de Twitter. “Ce ne sont pas des États qui défendent la même conception qu’en Occident de la liberté d’expression sur des plateformes comme Twitter”, souligne Hamza Mudassir, cofondateur du cabinet britannique de conseils pour start-up Platypodes.eu et professeur de stratégie entrepreneuriale à l’université de Cambridge.
Aucune preuve de menace pour la sécurité nationale
L’Arabie saoudite, en particulier, a déjà démontré qu’elle avait une conception très particulière du rôle de Twitter. En 2017, le royaume wahhabite avait lancé une petite armée de “bots” à l’assaut du célèbre réseau social pour y mener une vaste opération d’influence. Un ancien employé saoudien de Twitter a aussi été reconnu coupable, en août 2022, d’avoir espionné le réseau social pour le compte de Riyad afin d’obtenir des données sur les dissidents saoudiens actifs sur la plateforme.
Elon Musk a donc fait entrer des investisseurs potentiellement problématiques au sein d’une entreprise, qualifiée à maintes reprises d’importante pour le débat démocratique. Celle-ci détient de précieuses informations personnelles (adresse e-mail, numéro de téléphone, historique des messages privés) sur tous les utilisateurs du site, “des données sensibles qui pourraient intéresser des États autoritaires”, souligne le sénateur démocrate Chris Murphy.
Autant d’éléments troublants qui ne démontrent cependant pas qu’Elon Musk “a fait quelque chose d’inapproprié », a tenu à nuancer Joe Biden. “La réponse du président américain est équitable : il rappelle qu’il n’y a pas de preuve à ce stade qu’Elon Musk représente une menace pour la sécurité nationale américaine, mais que le montage financier du rachat est suffisamment complexe pour nécessiter d’y regarder de plus près”, résume Hamza Mudassir.
Les opérations financières d’envergure comme le rachat d’une entreprise de la taille de Twitter “nécessitent souvent de faire appel à une multitude d’investisseurs”, note cet expert. Et ceux qui ont des liens avec la Chine, l’Arabie saoudite ou le Qatar ne représentent, finalement, que 6 % du montant total de l’opération.
Des garde-fous pour protéger la sécurité nationale ?
C’est peu mais cela peut suffire à peser sur le fonctionnement de Twitter, “surtout qu’on ne sait pas exactement ce que ces investisseurs obtiennent en échange de leur apport”, souligne Hamza Mudassir. Est-ce que les Qataris ou les Saoudiens se sont offert des sièges au conseil d’administration ou simplement le droit de toucher des dividendes sur les profits futurs ?
Ce serait l’un des points qu’une éventuelle enquête devrait éclaircir. Aux États-Unis, elles sont menées par le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) qui peut se pencher sur des investissements étrangers dans des entreprises américaines pour établir si la sécurité nationale est en jeu.
Le simple fait qu’une société dispose de données personnelles sur une partie des citoyens américains – comme c’est le cas de Twitter – “peut suffire pour que le CFIUS ouvre une enquête”, note le Brookings Institute.
Cette agence fédérale a de très larges pouvoirs, comme celui d’interdire une acquisition ou un investissement étranger (même de manière rétroactive). Mais avant d’en arriver à une telle décision, ce Comité peut décider de mesures visant à limiter le risque.
Selon Hamza Mudassir, cette perspective serait la plus probable si le CFIUS venait à considérer, après enquête, que l’acquisition d’Elon Musk portait atteinte à la sécurité nationale. Une solution serait alors “d’améliorer la supervision par l’État de ce qui se passe au sein de Twitter”, précise-t-il. Le CFIUS pourrait exiger que toutes les données personnelles soient conservées sur des serveurs situés aux États-Unis et qu’elles ne puissent en sortir qu’après avoir obtenu une autorisation de l’administration.
Une telle solution pourrait être d’autant plus nécessaire qu’Elon Musk a fait sortir Twitter de la Bourse… Un retrait qui a pour conséquence de rendre son fonctionnement moins transparent puisque le groupe n’est plus obligé de rendre des comptes à des actionnaires. Une opacité qui n’est pas forcément rassurante pour un site censé promouvoir la liberté d’expression avec des investisseurs saoudiens, qataris ou chinois.