Des représentants de l’énergéticien et de l’Autorité de sûreté nucléaire étaient auditionnés ce matin au Sénat au sujet des problèmes de corrosion sous contrainte. Ils ont notamment rappelé que l’ensemble du parc nucléaire ferait l’objet de contrôles avant fin 2025.
Au lendemain de l’audition parlementaire du nouveau patron d’EDF Luc Rémont, le Sénat accueillait ce matin une séance plus technique entre les murs du palais du Luxembourg. Des acteurs majeurs du nucléaire français étaient réunis dans le cadre d’une audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte (CSC) qui est à l’origine de l’arrêt d’une dizaine de réacteurs. L’audition était organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Le député Pierre Henriet et le sénateur Gérard Longuet espéraient obtenir des réponses à plusieurs questions: Dans quelles conditions ces corrosions ont pu être identifiées? Pourquoi n’ont-elles pas pu l’être plus tôt? Quelle est leur origine, leur ampleur, leur gravité? Comment les contrôles des réparations nécessaires vont être réalisées? Quelle garantie offrent-ils? Premier à s’exprimer, le directeur exécutif d’EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique Cédric Lewandowski a notamment tenu à rassurer l’audience sur la capacité de l’entreprise à tenir le calendrier de relance des réacteurs :
« Au vue de la situation, nous sommes encore en mesure de respecter les objectifs fixés par RTE. »
Un risque de « rejets à l’extérieur »
Le représentant d’EDF est revenu sur l’historique du problème de CSC dans les centrales nucléaires, « phénomène inédit et inattendu qui perturbe le fonctionnement de notre parc nucléaire ». Un seul précédent français existait et remontait aux années 1980 sur le site de Bugey, sauf que la corrosion était alors liée à de la pollution. C’est à l’automne 2021 lors d’une visite décénnale du premier réacteur de Civaux (Vienne) que des premières indications sont constatées. Elles donnent lieu à des contrôles et une sonde révèle des fissures de plus de 5 millimètres alors que l’épaisseur du métal des tuyauteries n’est que de 3 centimètres.
« C’est un phénomène difficile à détecter car il se propage en ligne brisé, a expliqué Bernard Doroszczuk, président de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN). En cas de brêche, nous serions dans une situation accidentelle avec une perte durable du réacteur et éventuellement des rejets à l’extérieur. »
EDF élargit les tests à la centrale viennoise puis immobilise l’ensemble des quatre réacteurs de type N4 avant de réaliser sur le site de Penly que le problème ne se limite pas au seul palier N4 mais aussi au P’4. Au total, 12 réacteurs supplémentaires sont mis à l’arrêt au premier semestre 2022 tandis que 15 soudures et 230 échantillons métallurgiques font l’objet d’analyses en laboratoires. Tous les sites concernés ont une puissance d’exploitation de 1300 mégawatts tandis que ceux de 900 mégawatts semblent être moins sensibles à l’apparition de corrosion.
L’ASN a approuvé la stratégie de réparation d’EDF en juillet dernier avec 16 réacteurs identifiés comme prioritaires. Trois sont en cours de contrôle tandis que six restent encore à contrôler d’ici mi-2023 au plus tard. L’agence a déjà effectué 38 inspections et continue de suivre les chantiers de très près.
« Il a fallu développer une nouvelle technique de contrôle par ultrason qui est une véritable prouesse, a indiqué Cédric Lewandowski. Elle n’est pas encore parfaite mais on espère pouvoir en profiter pleinement l’année prochaine. » En fonction des résultats de celle-ci, la remise en état des réacteurs sera immédiate ou différée d’après Bernard Doroszczuk qui rappelle que tous les réacteurs seront contrôlés avant la fin de l’année 2025.
La sûreté nucléaire, « priorité absolue » ?
Les représentants d’EDF et de l’ASN ont notamment été interrogés sur les arbitrages qui ont guidé leur stratégie pour réparer les réacteurs touchés par les CSC. Le porte-parole de l’association négaWatt, Yves Marignac, a estimé que la sécurité électrique primait implicitement sur la sûrete nucléaire: « Il y a une fragilité au niveau du parc nucléaire français pour faire face à l’indisponibilité simultanée de plusieurs réacteurs nucléaires. Cette situation nous expose à un arbitrage malsain entre sécurité électrique et sûreté nucléaire et contribue à accélérer les réparations en relâchant les applications des normes. »
Face à ces accusations, Cédric Lewandowski a insisté sur le caractère prioritaire conférée à la sûreté nucléaire. « Il n’y a pas d’arbitrage entre la sûreté et la sécurité d’approvisionnement, a-t-il balayé. Si nous avons le moindre doute sur un réacteur, nous l’arrêtons et nous l’avons prouvé en le faisant pour 12 réacteurs nucléaires en plein hiver. Nous serons toujours du côté de la sûreté. » De son côté, Bernard Doroszczuk a rappelé que la sûreté devait être considérée comme un bien commun.
Le « manchonnage » comme solution alternative
Toujours est-il que l’opération d’arrêts d’ampleur a incité le député RN Alexandre Sabatou a suggéré qu’EDF avait peut-être fait preuve d’un « excès de zèle »: « Fallait-il vraiment arrêter la production d’un tiers du nucléaire français pour faire face à l’incident ou aurait-il été possible de lisser cet arrêt? » Une question à laquelle le président de l’ASN a répondu qu’il « n’était pas envisageable de demander à EDF de maintenir en service les réacteurs et qu’il était indispensable de mener les contrôles pour connaître l’ampleur des dégâts sur l’ensemble du parc nucléaire »: « Nous étions en aveugle pendant à peu près un semestre ! »
Certaines voix comme celles du sénateur Stéphane Piednoir arguaient qu’il existait des alternatives à la section et au remplacement des tuyauteries, citant le « manchonnage » qui consiste à ajouter une couche supplémentaire pour protéger momentanément la fissure. « Nous n’avons pas retenu le manchonnage car ce n’est pas un processus qualifié par rapport aux normes françaises, a rétorqué le représentant d’EDF. Le qualifier demande plusieurs mois voire années d’instruction pour aboutir et il était impossible de le mettre en place par rapport à nos objectifs en matière de sécurité d’approvisionnement. Mais nous allons en discuter et entamer un dialogue à ce sujet avec l’ASN. »
Le nucléaire français devrait en tout cas tirer des leçons de ce vaste épisode de corrosions sous contrainte. Le directeur de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), Yves Lheureux, attend des contrôles et maintenances plus fréquents pour les sites ayant plus de 35 ans d’activité. Bernard Doroszczuk souhaite quant à lui que le futur mix énergétique français permette de disposer d’une marge de sûreté plus conséquente afin de pouvoir suspendre simultanément le fonctionnement de plusieurs réacteurs en cas de besoin.