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Pour sa nouvelle production littéraire, le romancier et scénariste Gauz’ a choisi un titre en forme de jeu de mots. A partir des termes cacao et cocaïne, il a imaginé les Cocoaïans autrement dit les habitants du Cocoaland, « 322 000 km2 avec vue sur l’océan Atlantique dans le ventre du golfe de Guinée », une contrée d’Afrique de l’Ouest ressemblant à s’y méprendre à sa Côte d’Ivoire natale. Cependant, au-delà du clin d’œil, le propos tenu par l’auteur se veut éminemment politique.
Autrefois colonisé par une puissance européenne, le Cocoaland s’est vu imposer l’exploitation à grande échelle du cacao, jusqu’à se hisser au troisième rang de la production mondiale, une soixantaine d’années après son accession à l’indépendance. Mais quelle indépendance ? « Le succès de ce pays repose sur un malentendu, écrit Gauz’ dans le prologue. Nous serions en train de parler d’autre chose si nous étions les premiers producteurs mondiaux de chocolat plutôt que de cacao. » Encore eût-il fallu que l’Etat du Cocoaland défende jusqu’au bout sa souveraineté économique, au lieu de laisser à des entreprises étrangères le soin de transformer industriellement ses fèves en chocolat.
« Le chocolat aurait dû être notre arme de lutte, pas le cacao, résume l’un des personnages. Vous avez dansé l’indépendance de leur chocolat et la dépendance de notre cacao. » Gauz’ se place ainsi du côté de la dénonciation, pointant du doigt un paradoxe économique et la perpétuation des rapports de domination.
Ce texte en forme de plaidoyer aborde de nombreuses questions, depuis la façon dont l’histoire de la Côte d’Ivoire-Cocoaland a été façonnée par la culture du cacao, jusqu’aux raisons qui ont transformé les fèves du cacao de manne en malédiction, puisqu’aujourd’hui, seule une étroite « bourgeoisie cacaoyère » tire profit du commerce des fèves, tandis que l’essentiel de la population demeure plongé dans la pauvreté. Pourtant, les Cocoaïans dans leur grande majorité pourraient tirer confort de vie et dignité de la situation.
Se lire, se dire, s’écouter
Gauz’ accuse le système capitaliste qui conduit à des injustices sociales de plus en plus insupportables. Les déséquilibres environnementaux en sont une autre conséquence dans la mesure où l’exploitation ne se limite pas à celle de l’homme par l’homme ; elle est également celle d’une terre qui s’épuise et de forêts qui disparaissent. « N’usons pas nos terres pour une plante qui ne se mange pas et qui ne soigne rien (…), prévient un sage lors d’un palabre. Un lopin aujourd’hui, un coteau demain, une vallée après-demain et dans quelques générations, ce sera tout notre pays. Il ne faut pas. »
Mais Gauz’ refuse cet état de fait. Depuis le succès de Debout payé, le roman qui l’a fait connaître en 2014, l’auteur exprime sa foi inébranlable dans la puissance et la magie des mots. Pour nous faire réfléchir, il a misé cette fois sur une approche littéraire protéiforme, avec un texte mêlant la narration à la poésie et la nouvelle au théâtre. « Ecrit pour la parole », selon le nom de la collection auquel il se rattache aux éditions de L’Arche, Cocoaïnans peut se lire, se dire, s’écouter, se découvrir dans un ordre chronologique ou s’apprécier au hasard de chapitres choisis.
Cette fresque littéraire nous fait passer d’un ancien haut gradé de l’armée coloniale française se remémorant avec arrogance sa mission de conquête à une fillette conversant avec son grand-père devant un écran de jeu électronique, d’une réunion de sages sous l’arbre à palabres aux réflexions d’un chef d’Etat. L’humour succède à la colère dans un pleurer-rire général.
Le récit se conclut d’ailleurs par la description tragi-comique d’un avenir assez proche. En 2031, sur un continent africain désormais nommé « Afridoukou », les Etats enfin unis et souverains trouveront la voie de l’émancipation : « L’Occident devra acheter exclusivement de la poudre de chocolat comme il achète la poudre de cocaïne. Il se pliera à ce diktat. Ou alors nous organiserons la plus grande pénurie de chocolat de tous les temps. » L’utopie d’une nouvelle puissance, même si le cacao, devenu aussi précieux et sulfureux qu’une drogue, pourrait alors prendre un goût amer.
Cocoaïans (Naissance d’une nation chocolat), de Gauz’ (éd. L’Arche, 112 pages, 14 euros).