C’est à lui-même plutôt qu’à son pays que Mahamat Idriss Déby a offert un nouveau départ. Dix-huit mois après avoir hérité du pouvoir après la mort de son père, Idriss, tué dans ce qui fut son activité la plus constante – la guerre contre des groupes rebelles –, le jeune général de 38 ans a été officiellement investi, lundi 10 octobre, président de transition du Tchad. Un simple changement de titre pour celui qui occupait jusqu’ici la fonction de président du Conseil militaire de transition (CMT), organe dont la dissolution est destinée à donner une apparence plus civile à son régime, mais qui lui permet de se maintenir aux commandes bien au-delà de la période initialement promise.
Au moment où il aurait dû rendre le pouvoir et organiser des élections, si les engagements d’avril 2021 avaient été tenus, Mahamat Idriss Déby s’est vu confier les commandes de l’Etat pour vingt-quatre mois supplémentaires et surtout accorder le droit de concourir à la prochaine élection. Ce reniement de la parole donnée à l’Union africaine (UA) et aux chancelleries occidentales, France en tête, qui avaient approuvé, au regard de « la situation particulière » du Tchad, la succession du père par son fils en dehors de toute légalité institutionnelle, est la principale conclusion du « dialogue national inclusif et souverain » (DNIS).
Exécutif renforcé
Présidées par un opposant reconnu, Gali Ngothé Gatta, ces assises ont été précédées de mois de discussions au Qatar entre le gouvernement tchadien et les mouvements politico-militaires qui le combattent plus ou moins activement. Ouvertes en août après de multiples reports, elles ont uniquement servi à élargir les prérogatives du chef de l’exécutif, qui obtient désormais le droit de révoquer le premier ministre, et à entériner son apparente volonté de conserver le pouvoir. Avant de se retirer définitivement du processus, l’Eglise catholique avait ainsi suspendu sa participation à mi-parcours « pour ne pas cautionner la main mise d’un groupe », évoquant son « impression d’assister à une campagne électorale, avec d’un côté ceux qui soutiennent le changement et un renouvellement de la classe politique et de l’autre ceux qui bloquent tout et veulent continuer comme avant, en mettant en place une machine savamment orchestrée ».
A cette accusation d’un dialogue organisé pour permettre à M. Déby de se dégager la voie jusqu’à une prochaine présidentielle qui se tiendra, promet-il, « dans la transparence et la sérénité », l’un de ses proches collaborateurs rétorque que « les Tchadiens sont libres de demander à celui qu’ils ont vu à l’œuvre de se présenter. Tous les rebelles et opposants qui étaient dans la salle ne contestent pas son éligibilité. Sont-ils à ce point idiots pour ne pas être conscients des enjeux ? »
Absent du dialogue qu’il a boycotté, l’opposant Succès Masra, à la tête des Transformateurs, estime que les Tchadiens sont « à un moment de clarification et de nécessaire réorientation. Si Mahamat Déby veut être candidat, il ne peut pas dans le même temps conduire la transition ». Le leader de ce parti, qui réunit bon nombre de jeunes urbains, a une fois de plus mesuré le fonctionnement de la machine répressive du régime – entre le 1er et le 9 septembre, « 800 [de ses] militants ont été blessés et 300 arrêtés » – et sollicite « une plus grande implication de l’Union africaine et de la France qui ont adoubé M. Déby ».
Plus radicaux, les mouvements rebelles non-signataires de l’accord de paix signés en août à Doha, parmi lesquels le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) qui a mené l’offensive fatale à Idriss Déby, ont annoncé, dès le 7 octobre, rejeter « les résolutions du prétendu dialogue qui ne font que légitimer la succession dynastique et pérenniser le régime corrompu. » Ceux-ci soulignent également que « les tenants du pouvoir et leurs complices et soutiens intérieurs et extérieurs assumeront toutes les conséquences de leur fourberie », alors que, selon eux, « l’armée clanique » au pouvoir au Tchad n’est qu’une « auxiliaire de l’opération française “Barkhane” ».
Un allié aussi stratégique qu’encombrant
Pour la France, Mahamat Idriss Déby est, au même titre que son père, un allié aussi stratégique qu’encombrant. Essentiel pour la présence militaire française au Sahel, qui plus est au moment où celle-ci est fortement contestée dans la région, et embarrassant puisqu’il fait figure d’exemple incontournable pour tous ceux qui dénoncent la bienveillance de Paris à l’égard des régimes militaires et inconstitutionnels qui préservent ses intérêts.
« C’est une situation compliquée de plus pour la région », euphémise un dirigeant français. Alors que la délégation de l’Union européenne et la France ont fait part de « leur préoccupation » concernant les décisions relatives à la durée de la transition et à la clause d’inéligibilité, cette source considère qu’« il ne faut pas précipiter des évolutions hors de portée pour le Tchad mais [qu’]une reconduction du système Déby est une autre impasse ».
Absent remarqué lundi à la prestation de serment de Mahamat Idriss Déby : son compatriote et président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, dont l’institution avait insisté avant la conclusion du DNIS sur la nécessité du respect du calendrier et rappelé « sans équivoque » qu’aucun membre du CMT « ne pourra être candidat aux élections à la fin de la transition ». « Il fait tout pour nous tacler. Il joue son rôle de prétendant au trône », grince une source à la présidence à Ndjamena alors que cet ancien ministre d’Idriss Déby nourrirait des ambitions dans son pays. « Cela ne sert à rien de vouloir interdire la candidature de Mahamat Idriss Déby. Au besoin, le clan pourra toujours présenter quelqu’un d’autre que lui, prévient un familier des arcanes de la politique tchadienne. Ce qui est nécessaire, c’est que la future élection soit suffisamment contrôlée pour que les résultats ne soient pas changés. »