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Au Mali, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient

Au Mali, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient


Le président malien de transition, le colonel Assimi Goïta (à droite) lors de la fête nationale de l’armée, à Kati, au Mali, le 20 janvier 2022.

« La liberté d’expression est en danger, la démocratie avec. Nous sommes dans la dictature de la pensée unique. » Les propos tenus par le journaliste malien Mohamed Attaher Halidou dans un éditorial diffusé sur Joliba TV News le 30 septembre ont fini par se vérifier. Mercredi 2 novembre, la chaîne de télévision créée en 2021 a été suspendue pour deux mois par la Haute Autorité de la communication (HAC) du Mali. Une interruption forcée qui illustre le durcissement de la censure au Mali depuis l’arrivée au pouvoir de la junte à la suite du double coup d’Etat d’août 2020 et de mai 2021.

L’instance chargée de réguler le secteur de la communication a justifié sa décision en dénonçant des « propos diffamatoires et des accusations infondées » contre la HAC elle-même et les autorités de la transition. Des griefs qui visent tout particulièrement l’éditorial diffusé après le retour de New York du premier ministre, Abdoulaye Maïga, le 27 septembre. A la tribune de l’Organisation des Nations unies, ce dernier avait prononcé un discours incendiaire contre la France et certains présidents africains. Une diatribe critiquée par le journaliste vedette de Joliba TV News, chaîne d’information réputée pour sa liberté de ton.

« Ce discours, avait estimé à l’antenne Mohamed Attaher Halidou, contient beaucoup de vérités mais nous devons aussi avoir le courage de dire qu’il manque par endroits d’élégance républicaine. » « Les colonels au pouvoir gouvernent avec l’opinion de la foule et la foule, par définition, ne réfléchit pas. Attention au naufrage », ajoutait le chroniqueur, avant d’appeler la HAC à « prendre ses responsabilités pour arrêter le désordre » sur les réseaux sociaux maliens, où la désinformation et les injures envers les personnalités hostiles au régime pullulent depuis des mois.

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Une décision jugée « excessive »

Contacté, un journaliste de Joliba TV News, préférant conserver l’anonymat pour des questions de sécurité, juge « excessive » la décision de l’instance de régulation : après une première mise en demeure le 12 octobre, « le but est de nous donner une leçon, estime-t-il. C’est une tentative de musellement de la presse. Certains sujets sont devenus tabous aujourd’hui au Mali, comme les relations entre notre pays et la France. Et nous, nous sommes malheureusement catalogués [anti-junte] ».

D’après ce journaliste, les ennuis de la chaîne avec le régime ont commencé fin avril, après la suspension « jusqu’à nouvel ordre » de France 24 et de Radio France internationale (RFI) au Mali. Les deux médias français avaient été sanctionnés pour avoir diffusé des sujets faisant état d’exactions présumées de l’armée malienne et des mercenaires du groupe de sécurité privée russe Wagner contre des civils dans le centre du pays. D’après la HAC, ce travail portait « atteinte à la défense et à la sécurité » et « mettait en péril la concorde et l’unité nationale ». Une version critiquée par Joliba TV News, qui réclamait le retour à l’antenne des médias interdits. Des journalistes de la chaîne malienne ont par la suite subi des pressions de la part de personnalités ou d’organisations réputées proches de la junte, les appelant notamment à un « traitement plus patriotique de l’information ».

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L’évocation de la collaboration de Bamako avec Wagner dans la lutte antiterroriste – que la junte persiste à nier, affirmant que les quelque 1 000 mercenaires déployés depuis le début de l’année sont des instructeurs de l’armée régulière russe – crispe les autorités de transition. Après la diffusion le 31 octobre d’une enquête de BFM-TV sur les mercenaires russes, Malick Konaté, un journaliste malien cité au générique comme ayant contribué à l’enquête, a été lynché en ligne. Le Collectif pour la défense des militaires (CDM), association réputée proche de la junte, a notamment réclamé dans un communiqué diffusé le 3 novembre l’ouverture d’une enquête contre le journaliste, qualifié de « soi-disant Malien à la solde de la France », pour sa participation à ce « film diffamatoire ». Un « acte de haute trahison », selon le CDM.

Liste de journalistes à « faire taire »

« Des journalistes sont menacés. Certains se cachent. Les gens ont peur, se sentent suivis, écoutés. Il y a toute une culture de l’autocensure qui se met en place. C’est alarmant », déplorait vendredi 28 octobre, dans un entretien au Monde, la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard. De retour d’une mission au Mali, cette dernière s’était inquiétée de la « restriction des libertés individuelles » en cours, « assumée » par Bamako.

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Le Mali a perdu douze places dans le classement sur la liberté de la presse en 2022, réalisé par Reporters sans frontières, passant du 99e au 111e rang mondial. « On ne peut plus travailler. Quelques confrères ont quitté le pays, d’autres ont décidé de se taire. Tout le monde a peur », témoigne un reporter malien, sous couvert d’anonymat, évoquant l’existence d’une liste qui aurait été dressée par la junte, contenant les noms de journalistes à « faire taire ».

« Il faut que ces pressions cessent. Nous craignons que le Mali devienne un véritable trou noir de l’information », souligne Sadibou Marong. Le directeur du bureau Afrique de l’Ouest de Reporters sans frontières condamne la « mesure de censure » imposée à Joliba TV News et dénonce aussi les « pressions exercées par la junte sur les médias internationaux » qui ont contraint certains à délocaliser la plupart de leurs collaborateurs hors du Mali, pour leur sécurité.

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