Ils avaient convenu de s’asseoir côte à côte dans l’avion présidentiel entre Paris et Alger, ce jeudi 25 août. Emmanuel Macron les a vus faire, a ri d’un air entendu, et leur a dit: « je suis sûr que ce voyage va être utile ». Il les a ensuite laissés poursuivre une négociation qui avait commencé au début du mois de juillet. A l’atterrissage, le deal était scellé: Xavier Niel (Free) avait accepté de vendre à Rodolphe Saadé (CMA CGM) les 11% du capital du groupe La Provence qu’il possède. Bernard Tapie, qui espérait voir Xavier Niel prendre sa suite à la tête du groupe de journaux provençaux, aurait été déçu. Mais la bataille qui avait démarré à son décès, le 3 octobre 2021, devenait à la fois absurde et dangereuse pour la survie de l’entreprise, en difficulté financière.
La solution est venue de Marc Sénéchal, le liquidateur judiciaire du groupe de Bernard Tapie. En juillet, il a décidé d’accélérer un peu les choses. A Xavier Niel, il a assuré une victoire totale devant les tribunaux: « oui, vous allez gagner. Vous pourrez récupérer, au prix que vous avez fixé, la totalité des parts de Bernard Tapie, aurait-il expliqué à l’homme d’affaires. Mais cela va durer entre 5 et 10 ans. Et dans l’intervalle, comme vous êtes déjà actionnaire du groupe, vous allez payer de votre poche les pertes courantes. Vous allez payer, encore et toujours. Vous paierez tout. Est-ce que vraiment c’est ce que vous voulez? ». A Rodolphe Saadé, il aurait dit: « Obtenir une victoire contre Xavier Niel, ça a quel prix? ».
Aux deux, il a arraché un premier terrain d’entente: l’imprimerie commune, mutualisée pour tous les journaux du Sud-Est. Une fois ce premier pas réussi, tout s’est enclenché. Xavier Niel s’est incliné, rassuré de pouvoir continuer, avec son groupe Nice-Matin (Var Matin, Monaco Matin…), les efforts d’économie entrepris avec une nouvelle imprimerie, dont la construction va commencer dans les mois qui viennent dans le Var, à mi-chemin entre Nice et Marseille, et qu’il co-financera avec Rodolphe Saadé. Rodolphe Saadé, lui, n’a pas ergoté sur le prix demandé par Xavier Niel pour ses parts et s’est montré généreux.
Réorganisation interne en vue
Très concrètement, le 1er octobre, après validation par le tribunal de Bobigny de l’accord entre les deux parties, les opérations de réorganisation interne vont pouvoir commencer. Dans le projet présenté par Rodolphe Saadé et établi, au cours de l’hiver, par Denis Olivennes, le directeur général de Libération, l’indépendance éditoriale avait été immédiatement évoquée: que le principal journal local appartienne au principal patron local peut être évidemment dommageable à la crédibilité du journal si des protections ne sont pas rapidement établies. Rodolphe Saadé avait donc promis que le directeur de la rédaction devrait être validé par un vote de la rédaction pour pouvoir être nommé. Une charte de déontologie et une société des journalistes pourraient également voir le jour. « Cette partie est essentielle, assure Sophie Manelli, déléguée SNJ de La Provence. La rédaction ne peut pas être soupçonnée de prendre partie pour un parti politique ou une entreprise, il en va de sa survie. C’est autant un état d’esprit individuel qu’une culture du groupe qui, à ce stade, est à reconstruire. »
Jean-Christophe Serfati, le PDG du groupe, sera remercié et remplacé. Il a déjà annoncé son départ. Charge à son remplaçant de trouver un nouveau directeur de la rédaction – une femme serait privilégiée -, et de lancer les grands chantiers éditoriaux. La clause de cession devrait permettre à une cinquantaine de salariés de partir, soit un peu plus du quart des effectifs de la rédaction. Une refonte de l’organisation de la rédaction sera alors possible, avec un changement du management et des dizaines d’embauches. « Il faut changer de modèle, assure Sophie Manelli, et la bascule numérique nous paraît intéressante, avec un vrai projet éditorial, bien pesé et réfléchi. »