Plusieurs anciennes joueuses de basketball féminin dénoncent les gestes d’abus physiques, de harcèlement psychologique et de violence verbale commis par leur ex-entraîneur québécois bien connu au cours des trente dernières années.
Notre Bureau d’enquête a rencontré sept femmes qui disent avoir été victimes des méthodes de l’entraîneur Danny Vincent durant leur adolescence ou au début de l’âge adulte. Mains sur les fesses, commentaires dégradants sur leur apparence physique et objets lancés en plein visage font partie des gestes allégués par ses victimes.
Vincent a été congédié après avoir consulté de la pornographie à l’école, avons-nous appris.
Pendant trente ans, il a quand même pu continuer à enseigner dans plusieurs établissements de la région de Montréal, de la Mauricie, et même ailleurs au Canada sans être inquiété (voir autre texte).
Relations sexuelles
L’une des meilleures joueuses de basketball que le Québec a produit, Élise Caron, a tenu à raconter son histoire à visage découvert.
Dans une entrevue qui sera diffusée ce soir à l’émission J.E, l’ex-joueuse élite affirme que Vincent lui a déclaré son amour alors qu’elle était âgée de 15 ou 16 ans, à l’école secondaire du Rocher de Shawinigan.
«C’était comme si moi, j’étais un objet et que je lui appartenais», lance l’ancienne joueuse rencontrée en Caroline du Nord, où elle réside maintenant, après avoir joué dans la première division de la célèbre NCAA américaine.
À peine âgée 18 ans, elle a eu des relations sexuelles avec lui dont elle garde de douloureux souvenirs (voir autre texte).
«Sans dire que je suis patte blanche, je n’ai jamais, jamais couché ou eu n’importe quel… attouchement avec quelqu’un qui n’avait pas 18 ans» a affirmé Danny Vincent, lors d’un entretien d’une heure au téléphone.
Sa mémoire est toutefois moins fidèle quand il aborde les gestes non sollicités que ses joueuses lui reprochent.
«Ça se peut que ce soit arrivé. Je me souviens être enseignant en éducation physique et je suis passé au bureau de la direction parce qu’un élève s’était plaint que je lui avais donné un coup de raquette sur les fesses», a-t-il indiqué.
Tentative de suicide
Certaines joueuses affirment avoir fait des tentatives de suicide, d’autres ont sombré dans toutes sortes d’abus pour lesquels elles blâment en partie leur ancien entraîneur.
«J’ai fait une tentative de suicide. J’ai été suivie pendant deux ans. J’étais épuisée de son stress, de ses manipulations et de son contrôle», a avoué l’une de ses ex-élèves, qui a témoigné sous le couvert de l’anonymat.
Porno au Cégep
Après un passage houleux au Cégep Édouard-Montpetit, où ses agissements ont été dénoncés à la direction (voir autre texte), Danny Vincent s’est rapidement trouvé un nouveau job d’entraîneur au Cégep Montmorency, à Laval en 2010.
Or, son comportement lui a valu des problèmes là aussi. Une enquête interne a révélé que Dany Vincent utilisait l’ordinateur du bureau des entraîneurs pour y rechercher du contenu pornographique.
Au terme de l’enquête, il a perdu son emploi en 2012. Celui qu’on surnomme Pico affirme avoir signé une entente confidentielle qui lui a permis de continuer à enseigner le basketball sans être rattrapé par son passé.
«Ils m’ont dit : “Danny, on met fin à notre entente. Inquiète-toi pas si tu veux des références, on va être là. On sait que tu es quelqu’un de disponible, de compétent. On n’a rien d’illégal contre toi”», a soutenu Danny Vincent au téléphone.
Le Collège Montmorency nie avoir signé une telle entente. Au contraire, la direction affirme avoir signalé le comportement de Danny Vincent à la police de Laval. Cette dénonciation n’a pas eu de suites.
QUI EST DANNY VINCENT?
- 46 ans
- Surnommé Pico
- Originaire de Grand-Mère
- Entraîneur de basketball depuis 1992
- Fondateur du programme Danny Vincent Basketball (DVBBALL)
- Quatre titres de championnat provincial juvénile à l’école secondaire du Rocher
- Entraîneur-adjoint lors de la victoire des Nomades du Collège Montmorency au Championnat canadien en 2011
«C’était vraiment de la manipulation pure» -Élise Caron
Les abus allégués de Danny Vincent sur Élise Caron ont mené la jeune fille au bord du gouffre, si bien qu’elle a songé au suicide.
«Je me suis rendue au plus loin, les plus dark places que tu peux penser, confie-t-elle. Si je n’étais pas allée à l’hôpital pour demander de l’aide, je ne suis pas sûre que je serais ici pour t’en parler.»
Danny Vincent l’a suivi tout au long de son parcours scolaire. C’est lors de son passage avec les Lynx du Cégep Édouard-Montpetit à Longueuil, que l’emprise de son entraîneur s’est resserrée sur elle.
«C’était vraiment de la manipulation pure. Toute ma vie, c’était par rapport à Danny», se désole Élise Caron.
À 18 ans, elle a sa première relation sexuelle avec son entraîneur. Elle affirme avoir été inapte à y consentir en raison du contrôle qu’il exerçait sur elle.
«Ce n’était pas quelque chose que je voulais. Quand je suis parti de chez eux, j’étais en détresse. Je courais dans la rue», se rappelle-t-elle.
Plainte
Elle a porté plainte pour agression sexuelle à la police de Longueuil, mais l’enquête n’a pas débouché par des accusations contre Danny Vincent.
Élise Caron avait connu l’entraîneur quelques années plus tôt à l’école secondaire du Rocher de Shawinigan. La joueuse était rapidement devenue une vedette dans la région.
Déjà, elle a pour objectif d’atteindre les plus prestigieuses ligues américaines.
«C’était un cercle vicieux, parce que le plus de basket je faisais, le plus je voyais Danny. Sauf que la meilleure que je devenais, la meilleure chance que j’avais de m’éloigner […] il n’y avait pas de sortie.»
Élise est finalement partie pour les États-Unis après avoir terminé son cégep. C’est au cours de sa deuxième année universitaire qu’elle a sombré dans une profonde dépression.
Aujourd’hui, elle a refait sa vie au sud de la frontière, mais n’a jamais oublié les abus subis aux mains de son ex-entraîneur.
Des plaintes dans trois écoles
Au moins trois établissements ont reçu des signalements de joueuses concernant le comportement de Danny Vincent durant les trente dernières années. Pourtant, l’entraîneur a pu enchaîner les emplois, malgré des enquêtes policières le visant et un congédiement.
École secondaire du Rocher 1992-2004
À l’école secondaire du Rocher à Shawinigan, une élève que nous avons rencontrée a rapporté à la directrice adjointe, Jocelyne Spain, « des gestes et des propos violents sur une base régulière ».
Elle n’en pouvait plus d’endurer les commentaires déplacés de Danny Vincent sur elle et ses coéquipières.
Mme Spain reconnait avoir été mise au courant des comportements reprochés à Danny Vincent. Elle dit avoir fait un rapport à sa supérieure immédiate, qui aurait pris en charge le dossier.
«Quand j’en ai eu connaissance, ça, je suis sûre de ça, je l’ai mentionné. Je suis certaine», dit-elle. Mme Spain assure qu’«il y a eu des actions» entreprises.
Nous avons contacté la direction actuelle de l’école secondaire du Rocher. Elle a refusé tout commentaire, «considérant qu’aucun membre de la direction de l’école n’était en fonction au moment où M. Vincent agissait comme entraîneur».
Cégep Édouard-Montpetit 2004 à 2009
Deux anciennes étudiantes soutiennent avoir dénoncé les comportements déplacés de leur entraîneur à la directrice des Affaires étudiantes et communautaires, Monique Magnan.
«Ne t’inquiète pas, Danny ne saura pas que tu nous as parlé ou écrit. […] Il sait qu’il ne peut plus s’acharner sur vous comme il l’a fait cette année. Il a eu plusieurs avertissements […] Il ne pourra plus y avoir d’excès comme cette année. Il sait très bien que ça ne sera pas toléré», écrit Mme Magnan dans un courriel daté de 2007 que nous avons consulté.
Contactée par notre Bureau d’enquête, Mme Magnan a d’abord indiqué par courriel: «Pendant que j’étais en poste au Collège Édouard-Montpetit, je n’ai reçu aucune dénonciation de la part d’étudiantes.»
Une fois confrontée à ce sujet en personne, elle a déclaré seulement «avoir fait des choses pour protéger» les étudiantes.
Le Cégep Édouard-Montpetit de Longueuil a refusé nos demandes d’entrevues en expliquant qu’aucun membre de la direction de l’époque n’est en poste actuellement.
Le cégep affirme qu’aucune plainte ou dénonciation d’étudiantes concernant Danny Vincent n’a été portée à l’attention de la direction.
Collège Montmorency 2010-2012
En 2012, le Collège Montmorency a mis fin à l’emploi de Danny Vincent après une enquête interne. Il a consulté de la pornographie dans un local destiné aux entraîneurs.
«Nous l’avons rencontré, il a avoué ses torts à deux reprises et nous l’avons congédié sur-le-champ. Nous avons agi avec une grande diligence», écrit le Collège Montmorency dans un courriel transmis à J.E.
L’établissement collégial a avisé le Service de police de la Ville de Laval, une démarche entreprise à l’époque « pour éviter qu’une situation impliquant Danny Vincent se reproduise dans notre communauté ou dans d’autres établissements d’enseignement ».
Aucune accusation n’a toutefois été portée contre l’entraîneur. En réponse à une demande d’accès à l’information, le Service de police de la Ville de Laval a indiqué que le rapport rédigé à l’époque a été détruit conformément à leur calendrier de conservation des archives.