Un entraîneur vedette de basketball mineur bien connu se retrouve dans l’embarras avec la dénonciation de comportements abusifs qu’il a fait subir à certaines de ses joueuses au cours des 30 dernières années.
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Hier, notre Bureau d’enquête rapportait que sept femmes ont décidé de dénoncer les gestes de Danny Vincent. Il aurait notamment donné des tapes sur les fesses, eu des relations sexuelles avec une athlète à peine majeure en plus de poser des gestes de violence physique et psychologique.
Les commentaires déplacés et désobligeants sur leur physique ou leur personne étaient aussi du lot.
Voici les témoignages de ces sept femmes. Plusieurs années plus tard, elles vivent encore avec de douloureux souvenirs et les conséquences du passage de Vincent dans leur vie de jeune femme.
Craintes
Il s’agit d’une ultime tentative pour ces adolescentes devenues femmes, mères de famille pour la plupart, de dénoncer les comportements déplacés de leur ancien entraîneur.
« Ça fait 20 ans que j’essaye que ça cesse, ça n’a plus de bon sens. Ça fait longtemps qu’on se bat et ça fait longtemps qu’on essaye de trouver une façon qu’un jour ça débloque », déplore Stéphanie Boisvert, une ancienne élève de l’école secondaire du Rocher de Shawinigan.
Plusieurs vivent encore dans la crainte et elles ont accepté de témoigner seulement sous couvert d’anonymat.
SIX ATHLÈTES SE VIDENT LE CŒUR
- École secondaire du Rocher, Shawinigan
- Fin des années 90
Une ancienne joueuse qui a été sous la gouverne de Danny Vincent pendant quelques années se souvient très bien des commentaires désobligeants qu’il avait à son endroit.
« C’était tout le temps des critiques du fait que j’avais trop des gros seins ou des grosses fesses », a-t-elle expliqué.
Si bien qu’elle en est venue à une solution radicale pour éviter les remarques de son entraîneur : se bander les seins « avec un top par-dessus, pis un autre, pis un autre, pour être sûre que ça bouge pas, pour ressembler aux autres », a-t-elle illustré.
Les tapes sur les cuisses et sur les fesses étaient aussi récurrentes durant les matchs et les entraînements.
C’est sans compter l’intrusion dans la vie des adolescentes, qui se manifestait par « le contrôle de ce que tu manges, de comment tu t’habilles, de qui tu vois, de ce que tu fais », a-t-elle relaté.
Ces années de violence psychologique ont eu un impact direct sur la femme qu’elle est devenue et sur ses relations personnelles.
« Je pense que ça m’a appris à ce que quand quelqu’un a un contrôle sur moi, qu’il a le droit de me dénigrer. Que je n’ai pas le droit d’être moi. Ça a fait qu’au nom de l’amour, l’autre personne pouvait faire tout ce qu’elle voulait avec moi », a-t-elle ajouté.
« Il m’a enlevé ma valeur, et ça, ça prend toute une vie à reconstruire », a-t-elle conclu, la voix nouée par l’émotion.
- École secondaire du Rocher, Shawinigan
- Fin des années 90
Une ancienne joueuse de basketball de l’école secondaire du Rocher a songé à mettre fin à ses jours après avoir subi les mauvais traitements de son entraîneur Danny Vincent.
« À l’âge de 19 ans, j’ai fait une tentative de suicide et j’ai été suivie pendant deux ans où toutes mes mésaventures du secondaire avec Pico ont été libérées », a-t-elle écrit dans une lettre transmise à notre Bureau d’enquête.
Elle raconte aussi avoir vu à plusieurs reprises Danny Vincent lancer tout ce qui lui tombait sous la main, que ce soit un cartable, un ballon, une chaise.
Il se permettait aussi des commentaires sur le physique de ses coéquipières ou le sien.
« Il m’a dit lorsque je suis arrivée au gym en jupe au genou et juste habillée normalement : “Tu commenceras pas à t’habiller comme une guidoune là ?” »
Épuisée par « le stress, les manipulations et le contrôle » de Danny Vincent, elle a décidé de quitter l’équipe de basketball et l’école du Rocher avant d’obtenir son diplôme d’études secondaires.
- École secondaire du Rocher, Shawinigan
- Début des années 2000
Même 20 ans plus tard, cette ancienne élève de l’école secondaire du Rocher de Shawinigan n’a aucune difficulté à se rappeler la panoplie d’insultes qui fusaient durant les entraînements de basketball dirigés par Danny Vincent.
« C’était de l’humiliation temps plein […], on se faisait crier après comme quoi on était des deux de pique, deux de quotient, qu’on est connes, stupides, qu’on ne sait pas jouer au basket, qu’on ne sera jamais bonnes », s’est-elle souvenue.
Lors d’un tournoi, il a fait un classement de ses joueuses de la plus belle à la moins belle. Il l’a fait « verbalement, devant tout le monde », selon ses souvenirs.
Stéphanie Boisvert a dénoncé à la direction de son école les comportements de Danny Vincent.
Malgré tout, elle a continué à jouer et est devenue entraîneuse dans un environnement plus sain.
- Cégep Édouard-Montpetit
- Fin des années 2000
Une ancienne joueuse des Lynx d’Édouard-Montpetit ne mâche pas ses mots pour décrire le climat toxique instauré par Danny Vincent : « Il faut vraiment voir ça comme une secte. »
Pour arriver à intégrer l’équipe collégiale, elle s’en est remis à Pico, qui était déjà son entraîneur en cinquième secondaire.
« Il disait qu’il était un marchand de rêve, alors je m’accroche à lui, je bois ses paroles, je fais tout ce qu’il me demande par rapport au sport, par rapport à l’entraînement, pour me faire recruter. Et puis, c’est ça qui est arrivé finalement », a-t-elle décrit.
Selon elle, lorsque Danny Vincent a senti qu’il perdait son emprise sur elle, il n’a pas hésité à exprimer sa colère.
« Je suis dans le bureau de l’entraîneur, puis y’a possiblement une confrontation parce que je suis en train de m’en sortir [de son emprise], donc il prend le téléphone fixe du bureau et me le lance au visage. Je me suis tassée à la dernière seconde », a-t-elle soutenu.
Elle dit avoir rapporté cette tentative de la blesser au Service de police de l’agglomération de Longueuil.
- Cégep Édouard-Montpetit
- Fin des années 2000
Danny Vincent dirigeait des entraînements « extrêmement intenses » auprès de ses joueuses.
« On travaillait fort toute la semaine : on ne travaillait jamais assez fort [pour lui], il fallait donner plus […]. Des fois, on avait des journées de six heures à s’entraîner. Si on n’y allait pas, on se le faisait dire aussi », a souligné une ancienne d’Édouard-Montpetit.
L’entraîneur allait trop loin pour les pousser à performer, selon elle.
« S’il trouve qu’on n’a pas bien joué, il va s’acharner sur nous pour penser qu’on va remonter et sortir de là plus fort. Par exemple, c’était de venir nous blesser personnellement avec des petites choses soit qu’on lui avait confiées ou qu’il voulait nous blesser cette journée-là », relate-t-elle.
Elle aussi a eu droit à des commentaires sur son physique.
« Je me suis fait demander mon poids, juger sur mon apparence physique. […] Il me l’a dit qu’il fallait que je perde du poids. Il nous regardait ou il nous pesait », se remémore-t-elle.
- Association de basketball de Saint-Bruno
- Début des années 2010
Danny Vincent a promis à cette adolescente de l’aider à atteindre l’élite du basketball.
« Il avait des techniques pour me faire croire que je ne pourrais jamais atteindre mes rêves sans lui », écrit-elle dans une lettre.
Il s’est installé rapidement dans leur relation athlète-entraîneur un climat malsain.
« Après un court moment, la manipulation, le harcèlement psychologique, les mensonges, les tapes sur les fesses, le “gueulage”, etc., c’était rendu “normal” pour moi. »
Pour exercer un « contrôle maximal », Danny Vincent a aussi tenté de l’isoler de sa famille, a-t-elle affirmé. Ses parents l’ont convaincue de couper ses liens avec l’entraîneur.
« Mes parents ont su agir avant d’avoir traversé ce point », dit-elle.
Aujourd’hui une athlète reconnue, elle affirme que son ex-entraîneur utiliserait toujours ses exploits à son propre avantage.
« C’est ce qui me fait le plus mal au cœur : le fait qu’il ait utilisé – et utilise probablement encore – mon image et ma réputation pour persuader d’autres joueuses encore plus jeunes que moi d’être sous son emprise. »
Elle incite celles qui ont vécu une situation d’abus dans le sport à entreprendre des démarches, à se « libérer » à leur façon.
« Que ce soit en l’écrivant, en en parlant, en pleurant, en criant […]. Tu n’es pas seule. »