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Il est 18 h 45, mardi 6 décembre. Achraf Hakimi vient de claquer l’ultime penalty, une arrogante panenka qui propulse les Lions de l’Atlas en quarts de finale de la Coupe du monde de football aux dépens de l’Espagne (0-0, 3-0 t.a.b.). Au Maroc, une immense clameur s’élève dans tout le pays. De Marrakech à Tanger, en passant par Casablanca, Kénitra ou Fès, une foule verte et rouge déferle dans les rues. Les gens crient, chantent ; d’autres pleurent de joie ou s’étreignent dans un vacarme assourdissant de klaxons. C’est la première fois que le Maroc, terre de football, atteint ce niveau de compétition lors d’un Mondial.
« Je suis sous le choc, il n’y a pas de mots. C’est l’extase ! », s’exclame Yassine El Ammari, 20 ans, sur une avenue bondée du Maârif, quartier central de Casablanca. « Le Maroc devient le premier pays arabe à atteindre les quarts de finale ! », se réjouit-il. Et le quatrième du continent africain, après le Cameroun (1990), le Sénégal (2002) et le Ghana (2010).
« On l’a fait ! On a écrit l’histoire, on aura vécu ça. Cette équipe est fantastique. Merci aux joueurs, merci au coach Walid [Regragui] ! », s’écrie à son tour Marwa, 25 ans, au milieu d’une foule compacte de jeunes et moins jeunes, hommes, femmes et enfants, qui scandent d’une même voix « Sir ! Sir ! Sir ! » (Allez !) ou « Dima Maghrib ! » (Toujours avec le Maroc !) dans la fumée des fumigènes et des feux d’artifice.
« On en parlera à nos enfants »
Quelques heures plus tôt, non loin de là au café Amistad, où plus de 400 supporteurs étaient rassemblés, un seul objectif était sur toutes les lèvres : surpasser l’exploit historique de 1986, quand les Lions de l’Atlas étaient parvenus à se qualifier pour la phase finale du Mondial au Mexique, avant d’être éliminés en huitième de finale par l’Allemagne de l’Ouest (0-1). « Mon père me parlait toujours de cette “génération 1986”. Il me disait qu’à l’époque, on avait de bons joueurs, qu’on avait gagné contre de grandes équipes, raconte Karim Moudan, 37 ans. Il est temps, trente-six ans plus tard, de refaire l’histoire. A nous d’être la “génération 2022” et de parler de cette Coupe du monde à nos enfants ! »
Dans ce mythique café de supporteurs – dont le propriétaire n’est autre que Salaheddine Bassir, un ancien joueur des Lions –, pas moins de sept écrans géants avaient été installés pour l’occasion. Jusqu’à la dernière minute, les spectateurs, certains enveloppés dans des drapeaux rouges, d’autres arborant le maillot à l’étoile verte, ont poussé leur équipe nationale, dernière sélection africaine, maghrébine et arabe en lice au Qatar. Et ce en dépit d’un suspense devenant de plus en plus irrespirable au fil du match.
« Nous avons un entraîneur exceptionnel, qui sait transmettre à l’équipe la chaleur du peuple marocain », affirme Malak Niech, 32 ans
Lors des trente minutes de prolongations, et surtout lors de la séance fatidique de tirs au but, on voyait des visages enfouis dans les mains, des poings serrés sur les tempes, des ongles rongés par le stress, des serviettes en papier chiffonnées frénétiquement… « C’est dur, c’est dur », soufflait un serveur, qui tentait tant bien que mal de se concentrer sur les commandes. Assise en terrasse, Malak Niech, 32 ans, y a cru jusqu’au bout. « Nous avons une équipe de très bons joueurs, soudée, harmonieuse, et surtout un entraîneur exceptionnel, qui sait leur transmettre la chaleur du peuple marocain », affirme la jeune femme.
Cette alchimie a porté ses fruits lors de la phase de poule, dont le Maroc est sorti premier de son groupe après un match nul contre la Croatie (0-0), vice-championne du monde en 2018, et deux victoires successives contre la Belgique (2-0) et le Canada (2-1). « Nous allons jouer contre la révélation de la Coupe du monde », avait reconnu le sélectionneur de la Roja, Luis Enrique, selon des propos rapportés dans la presse espagnole quatre jours avant le match contre le Maroc, anticipant un duel « très difficile ».
« Cette équipe nous a permis d’oublier la crise »
Avec cette prouesse, le Maroc met un terme à une longue période de déceptions, de contre-performances et d’absences. Après leur participation à deux Coupes du monde, en 1994 et 1998, sans jamais accéder au tableau final, les Lions de l’Atlas n’avaient retrouvé le Mondial que vingt ans plus tard, en 2018. De cette dernière compétition organisée en Russie, les Marocains gardent un souvenir amer. Au premier tour, l’équipe nationale avait rencontré… les Espagnols, pour un match nul (2-2) arraché par la Roja sur une erreur d’arbitrage. Si bien que pour le Maroc, cette victoire en huitième de finale au Qatar a aussi un arrière-goût de revanche.
Jusque tard dans la nuit, les Marocains ont savouré leur exploit. A Casablanca, au milieu de la foule rassemblée au Maârif, Azalarab, 22 ans, supporteur du Wydad – l’une des deux équipes de football de Casablanca, avec le Raja –, est sur un nuage. Jamais, dit-il, il n’avait vu une telle ambiance dans les rues de sa ville. « Regardez, ce soir, même les supporteurs du Raja et du Wydad, qui sont toujours en confrontation, chantent ensemble. Ils forment une seule et même équipe. C’est incroyable de vivre un truc pareil ! »
« C’est la magie du football ! », souligne Houcine, 44 ans, venu célébrer l’événement dans les rues avec sa femme et ses trois enfants : « Au Maroc, le foot n’est pas un simple jeu. Les Marocains le suivent avec le cœur ! » Samedi, les Lions de l’Atlas affronteront le Portugal en quarts de finale. Quelle que soit l’issue du match, le Maroc a déjà gagné l’essentiel, selon Houcine : « Cette équipe, elle nous a permis d’oublier la crise, les difficultés du quotidien. Elle nous a donné une occasion de nous évader. Nous sommes dans le top 8 des meilleures équipes de ce mondial, c’est déjà un rêve qui se réalise. »