Les injures expectorées en rafales par l’animateur-chef de meute Cyril Hanouna envers son invité Louis Boyard, député Insoumis, signent un si effarant rapport au pouvoir et au débat démocratique qu’il faut les relever, au risque d’y perdre en élégance: « Bouffon », « tocard », « abruti », « merde ». Cause du courroux ordurier: son ancien collaborateur, élu de 22 ans, a osé attaquer le propriétaire de la chaîne, Vincent Bolloré, pointant son exploitation de l’Afrique. Touche pas à mon poste devenait Touche pas à mon employeur, au risque de sombrer dans l’injonction définitivement liberticide.
Cette culture du clash, de l’affrontement plutôt que de la confrontation, devrait inciter les politiques à éviter de s’humilier en y participant car, après tant d’autres, voilà bien une nouvelle séquence avilissante pour leur fonction comme pour le débat démocratique. Hanouna résumerait ainsi le propos: « Parle à mes couilles, ma tête est malade. » La vulgarité affichée, plastronnée et virulente, devient ici mode d’expression et de domination.
On ne se grandit pas en s’abaissant
Cette violence tripale et virale annihile toute possibilité d’échange civilisé. Sanctionnée, ou pas, par l’autorité de contrôle, cette émission est devenue la négation de ce que l’on pourrait appeler au risque de paraître suranné l’indispensable protocole de bienséance. Est-il tolérable que des politiques persistent à contribuer à un tel avilissement de leur mission? Le prétexte d’une audience jeune et importante ne justifie pas de consentir à semblable veulerie. On ne se grandit pas en s’abaissant. Pour qu’il y ait expression d’un désaccord productif, encore faut-il qu’il y ait accord sur une considération réciproque. Au moins ça… Or Cyril Hanouna et ses épigones sont des éoliennes qui tournent aux vents mauvais de colères prétendument authentiques. Faut-il vraiment rappeler que la lapidation publique, humiliante, d’un politique, n’est pas un jeu?
Ce cirque carnavalesque participe du discrédit de toute la parole publique, fut-elle légitimée par les urnes, par les études, par le travail. Ici l’invective remplace la joute, la punchline l’argumentation, et le sentiment d’injustice la juste quête de sens. La violence sociale justifie la violence verbale, pire elle l’alimente en retour. La perte du respect dû à l’élu ne peut que participer des agressions, toujours plus nombreuses, contre les représentants du « système ».
Certains leaders croient pourtant bon de jouer avec le feu, imaginant ainsi toucher un public différent. Mais ce n’est pas le public qui fait l’émission, c’est le taulier et ses clones clowns qui vous tireront toujours plus bas. C’est une scène où il faut que ça cogne, il faut que ça saigne. Le clash, censé exprimer la vitalité du débat, en devient sa négation, et l’accélérateur de la brutalisation de la société.
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Cyril Hanouna a exprimé clairement au député sa conception du rapport de force (en sa faveur): « Si tu as été élu, c’est grâce à nous! » Et d’un coup Jean-Luc Mélenchon qui le couvrait jusqu’ici de chatteries a enfin compris que le bateleur allait trop loin, et risquait peut-être même de lui disputer un jour sa place politique, tel Eric Zemmour. Et de gronder, dessillé: « Nous ne sommes pas copains. L’élection, c’est le programme, ce sont les électeurs. » L’oublier, en effet, c’est avoir la tête grosse comme un poste de télé. Et tenir propos de paltoquet.