Dans un entretien paru dans Le Monde le 14 octobre, le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, a déclaré que « la République s’est refondée à la fin du XIXe siècle autour de l’école, en donnant une place centrale aux instituteurs qui jouissaient d’une respectabilité très forte, laquelle compensait d’ailleurs des rémunérations modestes. Un de mes souhaits est de leur redonner cette place (…) » (« Il y a bel et bien une vague de port de tenues pouvant être considérées comme religieuses », propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier, Eléa Pommiers, Claire Gatinois et Violaine Morin).
Pour ce qui est des « rémunérations modestes » des instituteurs à cette époque, Pap Ndiaye a tout à fait raison. Comme l’a écrit l’historien Antoine Prost, « en 1891, les traitements s’échelonnent entre 800 et 2 000 francs (or) par an alors que les ouvriers mineurs gagnent en moyenne 1 200 francs [Les avancements dans la carrière sont lents] et l’on voit des instituteurs rester pendant une dizaine d’années “stagiaires” à 800 francs par an… Les instituteurs de l’époque s’enfoncent dans une misère monotone et propre, mais accablante » (Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Armand Colin, 1967).
Il faut aussi noter que les concours de recrutement des écoles normales ne connaissent pas une grande affluence : il n’y a eu par exemple que 2 848 candidats pour 1 598 places en 1888 et 2 228 candidats pour 1 325 places en 1892 (« Du recrutement des écoles normales », Revue pédagogique, 15 octobre 1893).
Etrangeté de l’expression
Ce sont pourtant ces jeunes normaliens du début des années 1880 qui ont été traités de « hussards noirs de la République » par Charles Péguy (1873-1914) dans les Cahiers de la Quinzaine du 16 février 1913. Il s’agissait des élèves-maîtres qu’il avait vus dans la classe de l’école annexe alors qu’il en était l’un des élèves en 1880. « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs de la République (…) : un long pantalon noir ; un gilet noir ; une longue redingote noire (…). Un bel uniforme porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République (…). Toutes les semaines, il en remontait un de l’Ecole normale vers l’école annexe. »
En 1913, Charles Péguy n’ignore rien des difficiles conditions d’existence des instituteurs. A cette date, comme l’indique l’historien anglais Theodore Zeldin, dans son Histoire des passions françaises (Seuil, « Points Histoire », 1980), « les instituteurs d’Alsace-Lorraine [alors sous souveraineté allemande] recevaient un salaire deux fois plus élevé que celui de leurs collègues français, et, dans une enquête internationale, les enseignants du primaire en France furent classés comme les plus mal payés d’Europe ».
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