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Québec a investi 50 M$ en catimini dans une entreprise proche de Fitzgibbon


Québec a discrètement accordé, l’an dernier, une aide de 50 M$ à LMPG, une entreprise dont l’un des administrateurs est un proche du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon. 

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En novembre 2021, Investissement Québec (IQ) a acheté pour 26 millions $ d’actions de LMPG, société mère du fabricant de produits d’éclairage Lumenpulse. Au même moment, le ministère de l’Économie (MEI) a acquis pour 24 millions $ d’actions de l’entreprise.

Pierre Fitzgibbon a donné son «autorisation» pour le versement des 24 millions $, a confirmé le MEI au Journal.

  • Écoutez les explications du ministre Pierre Fitzgibbon au micro de Philippe-Vincent Foisy à QUB Radio :

LMPG a récolté 75 millions $ en tout grâce à cette ronde de financement, a indiqué une porte-parole de l’entreprise, Marie-Pier Jodoin. Le Fonds de solidarité FTQ a investi 25 millions $ dans le cadre de la transaction, de sorte que la totalité des sommes recueillies par LMPG en novembre 2021 provenait du gouvernement et du Fonds FTQ, lequel bénéficie de généreux crédits d’impôt.

Au moment de la transaction, l’un des actionnaires et membres actuels du conseil d’administration de LMPG, Michel Ringuet, agissait comme mandataire de la fiducie sans droit de regard du ministre.

«Le transfert de la fiducie de M. Fitzgibbon entre M. Ringuet et Banque Nationale Trust a commencé à l’automne 2021 pour être effectif en janvier 2022», a précisé Mathieu St-Amand, porte-parole du ministre.

De plus, de 2013 à 2017, Pierre Fitzgibbon a lui-même été administrateur de Lumenpulse.


Michel Ringuet agissait comme mandataire de la fiducie sans droit de regard de Pierre Fitzgibbon et était administrateur de LMPG au moment où le ministre a « autorisé » l’aide à l’entreprise.

Capture d’écran Linkedin

Michel Ringuet agissait comme mandataire de la fiducie sans droit de regard de Pierre Fitzgibbon et était administrateur de LMPG au moment où le ministre a « autorisé » l’aide à l’entreprise.

«Sentiment de suspicion»

«Il y a un problème de perception et ça peut être ennuyeux si les critères ne sont pas bien établis […]. Si c’est le cas, c’est sûr que des liens comme ça [entre le ministre et LMPG], ça vient encore plus jeter un sentiment de suspicion», affirme Ivan Tchotourian, professeur de droit à l’Université Laval et spécialiste en gouvernance.

  • Écoutez la rencontre Yasmine Abdelfadel et Marc-André Leclerc diffusée chaque jour en direct 6 h via QUB radio :

«C’est une question directe de conflit d’intérêts, renchérit Saidatou Dicko, professeure de comptabilité à l’UQAM. Même si c’est une relation antérieure, c’est une relation qui a été suffisamment importante pour influencer des décisions actuelles ou futures.»

Selon elle, il n’y a pas de doute possible : M. Fitzgibbon n’aurait pas dû jouer de rôle décisionnel dans le dossier de LMPG.

«Il n’y a rien, au niveau des lois et règlements, qui l’empêche de traiter ce dossier-là, mais on sait très bien qu’en matière d’éthique, ce qui n’est pas interdit par la loi n’est pas forcément moral», rappelle-t-elle.

En secret


Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

Photo Martin Alarie

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

De plus, contrairement à leurs habitudes, le MEI et IQ n’ont publié aucun communiqué pour annoncer cette transaction somme toute importante. L’investissement n’apparaît pas, non plus, dans le plus récent rapport annuel d’IQ. «On peut s’interroger sur la raison pour laquelle il n’y a pas eu d’annonce, note Mme Dicko. Est-ce que c’est un oubli ? Est-ce que c’est parce qu’on avait peur que ça suscite des questionnements?»

Louis Hébert, professeur à HEC Montréal, prévient toutefois que le gouvernement ne peut pas faire payer indûment LMPG pour avoir eu Pierre Fitzgibbon comme administrateur. «Ce n’est pas parce qu’un jour, une entreprise a eu comme administrateur quelqu’un qui est devenu ministre qu’elle doit être barrée de toute aide», affirme-t-il.

Il n’est pas question d’empêcher LMPG de recevoir du soutien de l’État, souligne toutefois Saidatou Dicko.

«Si l’entreprise mérite ce financement-là, un fonctionnaire qui a des compétences similaires à celles du ministre devrait arriver à des conclusions similaires aux siennes», dit-elle.

Bourse

L’investissement du MEI et d’IQ dans LMPG a eu lieu moins de six mois après la tentative ratée de l’entreprise de faire un retour en Bourse, en juin 2021. Dans le cadre de cette opération, IQ devait investir 100 millions $ dans LMPG, dont 90 millions $ pour racheter des actions détenues par Power Corporation, le plus gros actionnaire de l’entreprise. Dans des documents financiers rendus publics à l’époque, on apprenait que LMPG cumulait les pertes nettes depuis au moins 2018. 

En 2020, l’entreprise a reçu une garantie de prêt de 10,2 millions $ du MEI dans le cadre d’un programme lié à la pandémie.

AUTRES CONTROVERSES IMPLIQUANT LE MINISTRE

White Star : Le ministre détenait une participation dans un fonds White Star dans lequel Québec a également investi.

Polycor : Québec a investi 98 M$ dans Polycor, une entreprise pour laquelle un ami de Pierre Fitzgibbon a agi comme lobbyiste.

Lion Électrique : Le gouvernement a prêté 50 M$ à Lion Électrique, dont l’administrateur principal est Michel Ringuet, alors mandataire de la fiducie de Pierre Fitzgibbon.

Move Protéine : Pierre Fitzgibbon détenait des actions de Move Protéine, une entreprise présidée par le fils du PDG d’IQ, Guy LeBlanc.

Immervision : Cette entreprise, détenue en partie par Pierre Fitzgibbon, a fourni de l’équipement à une firme associée à la répression des musulmans en Chine.

Un fonds méconnu pour les sièges sociaux

La moitié de l’aide de 50 millions $ accordée par l’État à LMPG provient du Fonds pour la croissance des entreprises québécoises (FCEQ), qui vise à protéger les sièges sociaux.

L’initiative, qui faisait notamment suite aux craintes liées à la vente de SNC-Lavalin, a été confirmée dans le premier budget déposé par le gouvernement caquiste, en mars 2019. Il était alors question d’une enveloppe totale de 1 milliard $.

Le FCEQ a été officiellement constitué en décembre 2019, mais ce n’est qu’en novembre 2020 que Québec y a versé une première somme de 500 millions $.

Croissance

Le Fonds cible les entreprises «qui présentent un fort potentiel de croissance ou qui revêtent un caractère stratégique pour l’économie du Québec», peut-on lire dans un document gouvernemental.

Le FCEQ a effectué huit interventions depuis avril 2021, pour des investissements totaux de 253,3 millions $.

«Le maintien et développement des sièges sociaux, ce n’était plus du tout à l’ordre du jour, alors je trouve ça bien quand même que ça n’ait pas été oublié», affirme Ivan Tchotourian, professeur à l’Université Laval.

«Mais le problème de ces fonds spéciaux, c’est qu’il faut qu’ils soient bien pensés, sinon ils empiètent sur des programmes déjà existants», ajoute-t-il.

Et contrairement à ce qui avait été évoqué au début, les premiers investissements du FCEQ concernent surtout des entreprises de petite ou de moyenne taille.

«C’est sans doute le reflet des moyens» limités du Fonds, souligne Louis Hébert, professeur de stratégie à HEC Montréal.  

INTERVENTIONS DU FCEQ

Olymel : 74 M$

Papiers de spécialité Kruger : 48 M$

QScale : 30 M$

Kraft Nordic : 26 M$

LMPG : 24 M$

AlayaCare : 22 M$

Coveo : 19 M$

GHGSat : 10 M$

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