De plus en plus de Québécoises malades ou inquiètes de le devenir se font réopérer pour se débarrasser de leurs implants mammaires, même si elles doivent payer plus de 10 000 $ de leur poche au privé.
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« C’est très dangereux », affirme Maude Bordeleau, 42 ans, qui se dit « empoisonnée » par ses implants qu’elle a fait retirer en 2019.
Voilà des années que des femmes déplorent être malades ou vivent dans la douleur depuis qu’elles ont des implants mammaires.
En 2019, un type d’implant a été retiré du marché, car il peut causer une forme de cancer, et voilà qu’un récent avis américain laisse craindre de nouveaux risques.
Patientes malades
Par ailleurs, beaucoup de patientes se disent atteintes de la maladie des implants mammaires. Difficultés de concentration, fatigue extrême, problèmes intestinaux : une panoplie de symptômes sont évoqués.
Fondatrice du groupe de soutien « Maladie des implants mammaires », Julie Elliott note une hausse marquée des femmes prêtes à payer pour se les faire retirer au privé depuis un an.
« On reçoit des douzaines de témoignages par mois. Beaucoup disent : “Je ne le savais pas que la maladie existait.” Si elles avaient su que ça causait des problèmes, elles ne l’auraient jamais fait. C’est un nouveau phénomène, souligne-t-elle. Certaines se les font enlever quelques semaines après les avoir eus ! »
Chirurgien plasticien, le Dr Stephen Nicolaidis a cessé d’offrir la pose d’implants mammaires en 2021.
« Au début, j’avais espoir de déterminer les facteurs de risque qui amènent une femme à la maladie des implants mammaires […]. Mais j’ai rencontré plein de femmes qui ont zéro facteur de risque et sont quand même tombées malades. Là, j’ai dit : OK, c’est assez. Je ne me sens plus à l’aise de poser des implants », confie-t-il.
Depuis quatre ans, il a réalisé 615 explantations dans sa clinique privée de Montréal, et opère des femmes de partout au pays. Certaines patientes font ce choix après plusieurs années ou seulement quelques mois.
Une fois les corps étrangers retirés, les patientes retrouvent la santé, constate-t-il.
« Je peux compter sur le doigt d’une main le nombre de femmes qui n’ont pas eu une amélioration satisfaisante », dit le spécialiste qui combine l’explantation à un redrapage des seins.
« Vous m’avez sauvé la vie »
Selon lui, la maladie des implants mammaires pourrait toucher jusqu’à 10 % des femmes.
« Je ne continuerais pas à faire ça si ce n’était pas quelque chose de valorisant. Mais quasiment tout le monde revient en me disant : vous m’avez sauvé la vie. Ça m’encourage à continuer. »
Au Québec, la maladie des implants mammaires n’est pas officiellement reconnue comme un problème médical par l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec.
Par courriel, on dit toutefois reconnaître que des femmes « éprouvent des symptômes qui pourraient potentiellement être attribués à leurs implants. »
Mal protégées
Pour que la Régie de l’Assurance maladie du Québec (RAMQ) rembourse l’explantation, le médecin doit « décrire la condition médicale de sa patiente et c’est lui qui détermine que c’est médicalement requis », répond Caroline Dupont, porte-parole de la RAMQ.
Évidemment, les délais d’attente sont aussi beaucoup plus longs qu’au privé. Pour Mme Elliott, il est évident que les femmes ne sont pas bien protégées au Québec. Elle réclame un registre provincial des implants mammaires.
« Quand tu choisis de fumer, tu le sais [que c’est dangereux], il y a des photos dégueulasses sur le paquet. Quand tu entres dans le bureau du chirurgien […] il te montre des beaux implants flambants neufs qui sortent de la manufacture et il te dit que c’est sécuritaire », dénonce-t-elle.
- De 8000 à 8500 femmes se font poser des implants mammaires chaque année au Québec, soit pour des raisons esthétiques soit après une maladie. En 2020, 145 000 femmes en portaient, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Symptômes de la maladie des implants mammaires
- Difficultés de concentration
- Perte de cheveux
- Anxiété
- Yeux secs
- Maladies auto-immunes
- Douleurs musculaires et osseuses
- Changements sur la peau (taches, éruptions cutanées)
- Fatigue extrême
- Essoufflement
- Problèmes intestinaux
- Inflammation
Sources : Food & Drug administration
Toujours malade après trois ans
Une femme de 42 ans qui est encore malade trois ans après avoir fait retirer ses implants mammaires potentiellement cancérigènes paie des milliers de dollars pour se faire soigner à Toronto, à défaut d’être prise en charge au Québec.
« C’est comme si je vieillissais de 10 ou 20 ans plus vite que tout le monde, confie Maude Bordeleau. Mon système est complètement à terre. »
En 2012, la résidente de Trois-Rivières a subi une chirurgie d’implants mammaires. Comme beaucoup de femmes, elle n’aimait pas sa poitrine après avoir allaité ses deux enfants.
Problèmes rapidement
Or, la mère de 32 ans ne pensait jamais que cette chirurgie esthétique lui causerait autant de soucis de santé. Dès les premières semaines, son cycle menstruel était déréglé.
« J’ai eu des kystes ovariens, de gros saignements, de l’anémie, de la fatigue, énumère-t-elle. Je suis allée consulter, on me disait que tout était beau. »
Au fil des ans, les problèmes se sont accumulés : intolérance au froid, douleurs au dos et à la cage thoracique, perte de mémoire, plaques sur la peau. La liste est longue.
« La nuit, ça suintait autour des seins, se rappelle-t-elle. Je pensais que j’avais fait un AVC, je n’étais plus capable de lire un texte ! Il fallait que je me fasse enlever ça, et vite. Ça ne marchait vraiment pas. »
En juin 2019, la dame a payé 8000 $ au privé pour se faire retirer ses implants.
« Mon défi, c’était de les faire enlever le plus vite possible. Plus je les gardais, plus je m’empoisonnais », confie-t-elle, déplorant le manque de prise en charge dans le réseau public.
Après la chirurgie, Mme Bordeleau a été choquée de réaliser que ses implants étaient rupturés. L’un d’eux ne pesait plus que 36 g, plutôt que les 375 g à l’origine.
Rien de naturel
Polyuréthane, téflon, silicone : la femme qui s’est beaucoup renseignée sur les implants se considère comme « empoisonnée ».
« Il n’y a rien de naturel là-dedans, rien qu’on voudrait mettre dans un corps », dénonce-t-elle.
À la même époque en 2019, Santé Canada a retiré du marché le type d’implant qu’elle avait, soit les macro-texturés d’Allergan, en raison de risque de cancer. Depuis, la femme dit n’avoir jamais été contactée ni par les autorités de santé ni par son chirurgien esthétique, pour un quelconque suivi.
« Les médecins ne disent pas ce à quoi on a droit, je n’ai pas été informée ! » déplore-t-elle, toujours en attente d’information sur le recours collectif contre Allergan.
« Je pensais être correcte après la chirurgie. Mais, je serai toujours à risque pour le cancer, même si on les fait enlever. Ça peut prendre des années avant de sortir », s’inquiète-t-elle.
Abandonnée par le système
Bien qu’elle ait pris du mieux depuis le retrait des implants, Mme Bordeleau continue d’éprouver toutes sortes de problèmes. La femme se rend même à Toronto subir des traitements d’ozone et de vitamine C pour se faire détoxifier. Depuis quelques mois, elle a dépensé au moins 5000 $.
« Je suis abandonnée par le système public », dit celle qui est sur la liste d’attente— pour un médecin de famille.
Bien qu’elle regrette d’avoir eu des implants, Mme Bordeleau a bon espoir de retrouver la santé. Et elle suggère fortement aux femmes de se renseigner avant de passer sous le bistouri.
« Il y a beaucoup de femmes qui sont lésées. Dès qu’on voit le mot médical, on se dit que ce sera sécuritaire. Mais non », affirme-t-elle.
Tous les implants cancérigènes ?
Un récent avis médical américain révèle que tous les types d’implants mammaires peuvent causer un cancer, une nouvelle préoccupante qui sera suivie de près par des médecins du Québec.
Le 8 septembre dernier, la Food & Drug administration (FDA) aux États-Unis, l’équivalent de Santé Canada, a révélé que tous les types d’implants (remplis d’eau saline ou de silicone, et de surface lisse ou texturée) peuvent causer des cancers (lymphomes et carcinomes squameux).
Pour le moment, seulement 22 cas ont été rapportés chez nos voisins. Le taux d’incidence et les facteurs de risque demeurent inconnus.
Rare, mais préoccupant
« C’est un problème émergent et notre compréhension évolue », lit-on dans l’avis. Selon la FDA, le cancer se développe dans le tissu cicatriciel autour de l’implant, qu’on appelle la capsule.
Rappelons qu’en 2019, les implants macro-texturés de la compagnie Allergan ont été retirés du marché canadien, après que des cas d’un cancer du système immunitaire (lymphome anaplasique à grandes cellules associé à un implant mammaire) ont été détectés.
Selon Santé Canada, 64 cas de ce cancer ont été confirmés jusqu’ici, et 25 sont soupçonnés. Trois décès sont aussi confirmés. À noter que ces données datent d’il y a un an.
Dans son dernier avis, la FDA invite les médecins et les patientes à rapporter des cas de cancers.
« C’est très nouveau. Pour l’instant, on dit que c’est très, très rare, réagit le Dr Stephen Nicolaidis, un chirurgien plasticien. Mais c’est exactement comme ça que ça a commencé avec le lymphome. »
À ce sujet, Santé Canada indique sur sa page internet : « Nous surveillons activement la situation. Nous en informerons la population canadienne selon les besoins. »
On suggère aussi aux femmes qui ont des implants de faire des examens des seins régulièrement.
Pas de cas au Québec
L’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec a refusé la demande d’entrevue du Journal à ce sujet. Elle indique dans un communiqué qu’elle suivra le « dossier de près », mais ne recommande pas aux femmes sans symptômes de retirer leurs implants.
Aucun cas de ces nouveaux cancers n’a été rapporté au Québec jusqu’ici, selon l’Association.