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Alors que s’ouvre, mardi 20 septembre à New York, l’assemblée générale des Nations unies, à quelle place peut prétendre l’Afrique dans un monde marqué par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine ? Comfort Ero, présidente d’International Crisis Group (ICG), une organisation de prévention des conflits, revient sur les conséquences pour le continent de ce nouveau désordre mondial.
Guerre en Ukraine, crise alimentaire, dérèglement climatique… Les nouveaux défis du moment font-ils émerger une diplomatie africaine en tant que telle ?
La diplomatie africaine s’est toujours ajustée à la situation du moment. Elle s’est adaptée à l’après-guerre froide, à la grave crise financière de 2008 et n’a pas attendu que les Nations unies la guident pour réagir au Covid-19. En fait, la pandémie a permis d’exposer une fois de plus l’inégalité, la disparité et le manque de sincérité en termes de coopération mondiale. Vous remarquerez d’ailleurs que l’Union africaine (UA), à travers son Centre de contrôle et de prévention des maladies, a commencé à définir sa propre conception, ses propres règles et ses propres politiques pour gérer la crise sanitaire, puisque le système international n’était pas capable d’évoluer assez rapidement pour répondre à ses besoins. L’UA a fait pareil avec l’Ukraine.
Faut-il voir justement une affirmation d’indépendance dans la visite en Russie, en juin, de Macky Sall, président en exercice de l’UA, et de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, puis dans l’opportunité offerte au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, de s’adresser devant les chefs d’Etat du continent ?
Je ne crois pas que la volonté soit d’affirmer une indépendance ou un rejet vis-à-vis de l’Occident. Mais aujourd’hui, l’Afrique montre qu’elle peut faire des choix. Cela témoigne de ses relations complexes avec le reste du monde et de sa volonté de s’immuniser dans un contexte de concurrence géopolitique accrue entre grandes puissances. L’Afrique veut pouvoir défendre ses propres intérêts sans avoir à choisir un camp contre l’autre. Macky Sall n’a jamais dit : « Nous choisissons la Russie. » Il demande qu’on lui tende la main, tout en rappelant au monde les conséquences de la guerre en Ukraine.
Les dirigeants africains dénoncent de plus en plus souvent l’hypocrisie des Occidentaux. Quels sont les ressorts de cette critique ?
Il y en a plusieurs. Pour commencer, de nombreux dirigeants sur le continent s’inquiètent des conséquences économiques de la guerre, en particulier les difficultés d’achat de céréales et d’engrais. Et même si beaucoup compatissent à la détresse de l’Ukraine, ils ne veulent pas se laisser entraîner dans un affrontement qu’ils perçoivent comme opposant la Russie à l’Occident. Certains d’entre eux dénoncent aussi la partialité des Occidentaux en pointant du doigt ce qui s’est passé au moment des guerres en Irak et en Libye.
« Les critiques venues du continent devraient être un sujet d’introspection pour les capitales occidentales »
Ils voient également le contraste entre la manière dont l’Europe accueille les réfugiés ukrainiens et refuse les Asiatiques, les Arabes et les Africains. Enfin, un autre motif de dénonciation est l’inégalité de traitement dont l’Occident a fait preuve dans la distribution du vaccin contre le Covid ou sur les questions climatiques et financières. Les critiques venues du continent, le fait que l’Afrique ne soit plus nécessairement disposée à suivre les mêmes positions, comme lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, devraient d’ailleurs être un sujet d’introspection pour les capitales occidentales.
Quelle est la stratégie des pays africains dans ce nouvel ordre mondial marqué par la crise du multilatéralisme ?
La relation qui s’est construite entre Moussa Faki Mahamat et Macky Sall a permis de maintenir la place de l’Afrique. Ils se sont investis dans la défense du multilatéralisme avec les Nations unies, qui ont elles-mêmes cherché à renforcer leur partenariat avec l’UA. Le continent reconnaît – malgré des inégalités, certaines frustrations et des résultats mitigés de l’ONU – que le multilatéralisme l’a bien servi. Et alors que nous entrons dans cette période d’incertitudes, il est crucial de soutenir les Nations unies, l’institution qui porte ce principe, pour voir la paix et la sécurité progresser sur le continent.
Le cadre actuel est-il adapté ?
Il y a de véritables questions à se poser sur la manière dont ces institutions sont structurées et sur leurs performances, parfois médiocres. On peut se demander si le multilatéralisme promu par l’ONU est celui dont nous voulons. Il faut aussi s’interroger sur la réforme de l’ONU pour s’assurer que l’organisation soit plus proche de ceux qu’elle est censée représenter.
« Peut-on considérer que le Conseil de sécurité représente l’équilibre des pouvoirs dans le monde d’aujourd’hui ? »
Ainsi, peut-on considérer que le Conseil de sécurité, né de la seconde guerre mondiale, est toujours pertinent et représente vraiment l’équilibre des pouvoirs dans le monde d’aujourd’hui ? Ces interrogations sont légitimes et ne signifient pas qu’on remet en cause les Nations unies. Il importe ainsi de rappeler que la première grande initiative de l’ONU, à sa création, a été d’accompagner la décolonisation, d’aider à la naissance de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de nouveaux Etats. Il est crucial de préserver ces valeurs.
Pourquoi l’Afrique n’a-t-elle jamais obtenu ce siège permanent au Conseil de sécurité qui lui est régulièrement promis ?
Simplement parce que la place est bien gardée par les cinq membres permanents. A chaque fois que la question de la réforme est mise sur la table, ce sont les mêmes personnes qui parlent de réformes et qui, dans le même temps, bloquent cette ouverture. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France gardent jalousement leur statut particulier. La Chine et la Russie, qui évoquent leur solidarité envers le continent, protègent aussi leur position.
Certaines crises, comme au Sahel ou en Ethiopie, ne risquent-elles pas d’être négligées en raison du contexte actuel ?
On le dit mais je ne l’ai pas constaté. Des trêves ont ainsi été conclues en Ethiopie et au Yémen, alors que la crise ukrainienne avait déjà débuté. Les hostilités ont aujourd’hui repris en Ethiopie, mais le Conseil de sécurité ne peut être blâmé pour cela. Concernant le Sahel, la région était déjà en crise avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, et il s’y est ajouté un contexte de rivalité entre la France et la Russie au Mali. Ce dont manquent ces pays, ce n’est pas de l’attention internationale, mais d’une stratégie claire pour répondre à leurs problèmes.
La nouvelle rivalité internationale ne fait-elle pas le jeu des autocrates, qui peuvent, comme au temps de la guerre froide, marchander leur soutien ?
Il est vrai que l’ordre fondé sur des règles est mis à l’épreuve et que nous entrons potentiellement dans un monde multipolaire. Les autocrates ou d’autres en tireront avantage. Mais il s’agit de relations internationales. C’est ainsi que cela fonctionne. Et la gestion des crises sur le continent s’est toujours faite de manière transactionnelle. Au Mali, les dirigeants ont développé un discours antifrançais et se sont tournés vers la Russie en envisageant celle-ci comme un parapluie sécuritaire alternatif. Il n’en reste pas moins que les problèmes politiques du pays ne pourront jamais être réglés par une intervention extérieure.