Huit ans après avoir été accusé d’une immense fraude aux ramifications internationales, un ex-cadre de SNC-Lavalin échappe toujours à la prison et pourra continuer à vivre dans son luxueux condo jusqu’à sa mort… même s’il ne lui appartient plus.
Condamné à huit ans et demi de pénitencier et à une amende de près de 25 millions $, Sami Bebawi profite ces jours-ci de la magnifique vue que lui offre son condo situé dans le complexe Tropiques Nord, à deux pas d’Habitat 67, à Montréal.
L’homme d’affaires déchu est présentement en appel de sa condamnation et de l’amende qui lui ont été imposées en 2020.
Bebawi a aussi eu affaire à Revenu Canada et Revenu Québec, qui lui réclamaient un total de 28 millions $. Le fisc provincial avait d’ailleurs pris une hypothèque légale de 11,5 millions $ sur son condominium en 2019.
Mais notre Bureau a découvert que Bebawi a fait une série de transactions pour continuer à vivre dans le luxe de son condo qu’il a acheté pour 860 000 $ en 2016.
Pas de loyer
Bebawi a d’abord contracté une hypothèque avec un homme d’affaires du Nouveau-Brunswick, Marc-Louis Girard, en mars 2021.
Quelques mois après avoir consenti l’hypothèque, Girard a repris les clés du condo dans le cadre d’un délaissement volontaire. Le même jour, il a consenti un droit d’usage à Sami Bebawi pour les 25 prochaines années ou jusqu’à son décès.
Selon les documents notariés, Bebawi n’a pas un sou à payer en loyer hormis le paiement des assurances. Tout de suite après cette transaction, l’hypothèque légale de Revenu Québec sur le condominium a été levée.
En parallèle, les deux Agences de revenu ont accepté la proposition de Bebawi de payer seulement un des 28 millions $ qu’elles réclamaient.
Sans compter que Bebawi a fait d’autres manœuvres pour transférer des actifs à son ex-femme et à ses enfants (voir autre texte plus bas).
Il claque la porte
Rencontré par notre Bureau d’enquête dans son condo la semaine dernière, il a refusé de s’expliquer.
« Je ne vous dois aucune explication », a-t-il dit sèchement avant de nous intimer de quitter les lieux en claquant violemment la porte.
Marc-Louis Girard n’a pas rappelé notre Bureau d’enquête.
Rappelons que Sami Bebawi a été reconnu coupable de fraude, de corruption d’agent public étranger et de recyclage des produits de la criminalité. Lui et un autre ex-cadre de SNC, Riadh Ben Aissa, ont versé 127 millions $ en pots-de-vin pour graisser la patte à Saadi Kadhafi, le fils de l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, assassiné en 2011.
« [Bebawi] a lui-même su profiter grassement de cette supercherie en empochant pas moins de 28 903 503 $ », a écrit le juge Robert M. Mainville, qui a suspendu l’amende en attendant la fin des procédures d’appel.
Le dossier de Sami Bebawi doit revenir en cour d’ici deux semaines pour les suites de sa procédure d’appel. S’il gagne, il pourra continuer à vivre dans son condo en attendant un éventuel nouveau procès, sinon c’est la prison qui l’attend.
– Avec la collaboration de Philippe Langlois
Des millions à son ex-femme et à ses enfants
Sami Bebawi a multiplié les démarches dans des comptes dans les paradis fiscaux pour tenter de camoufler les millions empochés illégalement.
Entre 2001 et 2011, les millions ont transité par deux sociétés, Dinova et Duvel, qui servaient de paravent à l’ex-cadre de SNC-Lavalin.
À partir de 2012, quand la police a perquisitionné le siège social de SNC Lavalin et que les autorités suisses ont mis la main au collet de son complice Riadh Ben Aissa, Bebawi a effectué plusieurs transactions.
Nombreuses résidences
- Il a d’abord transféré 24 M$ en Égypte. Un condo d’une valeur de 600 000 $ a d’ailleurs été saisi par les autorités égyptiennes.
- Il a transféré d’importantes sommes d’argent et donné sa maison d’Outremont à sa femme, Marie-Claude Duhamel, dont il s’est séparé en 2015. Cette dernière s’est fait saisir 1,8 M$ en 2019 par Revenu Québec, soit le fruit de la vente de cette maison, selon La Presse.
Mme Duhamel n’en avait d’ailleurs pas fini avec le fisc, car Revenu Canada vient d’inscrire au début octobre 2022 une hypothèque légale de 1,3 M$ sur son condo du quartier Villeray à Montréal.
- Bebawi a aussi transféré près de deux millions à ses enfants. Les autorités ont d’ailleurs obtenu des ordonnances de blocage contre plusieurs propriétés appartenant à ces derniers. Un de ses fils, Adam, a d’ailleurs versé 970 000 $ l’an dernier au gouvernement canadien qui a accepté de lever l’ordonnance contre sa maison du boulevard Desaulniers, à Saint-Lambert.
- Selon les déclarations de Bebawi en cour, il aurait aussi placé près de 14,5 M$ à Dubai, qui auraient fondu à néant en quelques années à peine. Il affirme aussi posséder une résidence en Égypte d’une valeur de 1,3 million $ et une autre à Saint-Martin d’une valeur de 1,2 million $.
25 M$ d’amende
En septembre 2020, quelques mois après la condamnation au criminel de Bebawi, le juge Guy Cournoyer a estimé que l’ex-cadre de SNC-Lavalin avait les moyens de payer près de 25 M$ d’amende dans un délai de six mois. À défaut de payer, il écopait de dix ans de prison supplémentaire. Cette décision est toutefois suspendue en attendant l’appel de sa condamnation.
En plus, un total de 4 millions $ a été bloqué par les autorités, dont un condo de plus de 1 million $ à Clearwater, en Floride.
1999
Après avoir vendu son entreprise, Geracon, pour 9,6 millions $, Sami Bebawi devient président de Socodec, la filiale construction de SNC-Lavalin
2001 à 2006
Bebawi tisse des liens avec le régime libyen du dictateur Mouammar Kadhafi. Il prend sa retraite de SNC-Lavalin en 2006.
Jusqu’en 2011
Les sociétés Duvel et Dinova sont utilisées pour verser des pots-de-vin au fils de Mouammar Kadhafi. Au total, SNC-Lavalin va verser 127 M$. Des millions sont aussi détournés dans les coffres de sociétés liées à Bebawi et Riadh Ben Aissa, son successeur chez SNC-Lavalin.
2012
Riadh Ben Aissa est arrêté par les autorités suisses pour corruption. Dans les semaines suivantes, Sami Bebawi transfère des millions en Égypte et dans une fiducie familiale.
2014
Après une enquête impliquant 46 policiers de la GRC et dans d’autres pays, Sami Bebawi est accusé de cinq chefs, dont fraude, corruption d’agent public étranger et recyclage des produits de la criminalité.
2014-2015
Bebawi partage son temps entre Dubai et l’Égypte. Il se rend finalement aux autorités canadiennes en février 2015.
2019
Bebawi est reconnu coupable de cinq chefs d’accusation au terme d’un procès de quelques mois devant jury. Quelques jours plus tard, la filiale SNC-Lavalin construction plaide coupable à une accusation de fraude et accepte de verser 280 millions $ d’amende sur cinq ans.
2020
Le 10 janvier, Sami Bebawi écope d’une peine de huit ans et demi de prison. En septembre, un juge le condamne à payer une amende de près de 25 millions $ en plus de la saisie de 4 millions $ de biens immobiliers. Il porte les deux décisions en appel.
2021
L’ex-cadre de SNC cède son condo à un homme d’affai-res du Nouveau-Brunswick. En contrepartie, il peut utiliser les lieux sans payer de loyer pour les 25 prochaines années, ou jusqu’à son décès.