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« Quatre livres qui m’ont marqué »… par l’écrivain franco-djiboutien Abdourahman Waberi

« Quatre livres qui m’ont marqué »… par l’écrivain franco-djiboutien Abdourahman Waberi


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L’écrivain franco-djiboutien Abdourahman A. Waberi.

Chaque dimanche de l’été, Le Monde Afrique demande à un écrivain originaire du continent quels sont les ouvrages qui l’ont le plus marqué. Cette semaine, la question est posée à l’auteur franco-djiboutien Abdourahman A. Waberi. Romancier et nouvelliste, il est également enseignant de littérature française et francophone à l’université George-Washington, aux Etats-Unis. Son huitième roman, Dis-moi pour qui j’existe ?, paraîtra le 24 août aux éditions JC Lattès.

L’Enfant noir, de Camara Laye

Pour la tendresse qui s’en dégage. « Ce roman célèbre, qui raconte l’évolution d’un petit garçon depuis son enfance en Guinée jusqu’à ses premières années d’adulte, a longtemps fait partie pour moi de ces œuvres scolaires que je considérais comme un peu mineures et que je négligeais. C’est récemment, en me mettant à écrire des romans à caractère autobiographique, que j’ai commencé à l’apprécier.

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« On sait que Camara Laye a eu tout un parcours de vie après son éducation africaine : il est allé en France, a travaillé dans la mécanique comme ouvrier, est devenu technicien… Pourtant, au lieu de cette expérience, il a choisi de se repencher sur son enfance par l’écriture et il s’est efforcé de recréer la vie d’alors en Guinée. Je suis touché par la trajectoire de cet homme qui parvient, malgré le temps et l’éloignement, à refaire vivre non seulement son jeune âge mais tout une contrée. C’est un peu ce que je tente de faire moi aussi : mettre en mots Djibouti, mon pays tout entier, à l’aide de ma plume et… de mes frêles épaules !

« En relisant L’Enfant noir, j’ai découvert aussi qu’il est très bien écrit. D’ailleurs, je le fais étudier à l’université et je suis à chaque fois étonné de voir tout ce que mes étudiants y décryptent, de la magie aux secrets de l’initiation, du portrait de la mère aux relations sentimentales et jusqu’à l’arrivée du narrateur en France… J’apprécie la finesse de cette Afrique qui n’existe pas – ou plus. C’est une œuvre véritablement tendre, éternelle, qui me fait du bien. »

Vie et Enseignement de Tierno Bokar, d’Amadou Hampâté Bâ

Pour l’importance de la transmission. « Je fais partie d’une génération d’écrivains, comme Kossi Efoui, Alain Mabanckou, Fatou Diome ou Florent Couao-Zotti, enfants de la post-colonie et des indépendances ratées, qui ne voulaient plus entendre parler des grands anciens de la littérature africaine. Nous sommes arrivés à l’écriture dans les années 1990, la question de la négritude était loin de nous, nous avions résolument envie d’écrire autre chose. Amadou Hampâté Bâ représentait l’Afrique de papa et même de grand-papa, une figure qui était pour nous un repoussoir. On pouvait encore comprendre l’Afrique irritée et chahutée de Williams Sassine, de Sony Labou Tansi, d’Ahmadou Kourouma, mais l’Afrique éternelle d’Hampaté Bâ, non, ça c’était trop. Il nous irritait d’autant plus qu’il avait les faveurs de la critique, des éditeurs, des libraires, des lecteurs… Tout le monde admirait à travers lui une Afrique dont nous ne voulions pas, prétendument “immémoriale”, “pleine de sagesse”, “profonde”, “immortelle”, etc.

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« Or nous, nous avions envie de créer autre chose, un peu comme quelques rares auteurs avant nous – Simon Njami, Blaise N’Djehoya – en avaient eu l’intuition. Leurs plumes de “Black Parisiens” exprimaient une présence africaine noire en France… à l’américaine, en quelque sorte. Il m’a fallu mûrir un peu pour redécouvrir enfin Hampâté Bâ. Vie et Enseignement de Tierno Bokar, en particulier, a parlé à l’enseignant que je suis. J’ai trouvé là le texte d’un homme qui ne parlait pas de lui mais retraçait la vie d’un autre et lui rendait hommage. Autrement dit, ce fameux Hampâté Bâ qui concentrait tant mon irritation se faisait non l’auteur mais l’humble passeur des enseignements de son maître religieux, Tierno Bokar. L’iconoclaste que j’étais s’est réconcilié grâce à ce livre avec l’idée d’une transmission de la tradition. Aujourd’hui, j’enseigne Hampâté Bâ très souvent. Il m’a poussé à l’autocritique et a marqué mon entrée dans l’âge de la maturité. »

Jour de silence à Tanger, de Tahar Ben Jelloun

Pour sa suspension temporelle. « Tahar Ben Jelloun est l’auteur prolixe d’une œuvre longue et profonde que j’admire autant pour la poésie que la fiction romanesque et… la production graphique – car on le sait moins, mais il est aussi peintre. Il a également travaillé comme sociologue, notamment auprès des chibanis, les vieux Maghrébins émigrés. J’enseigne le livre merveilleux qui en a découlé, La Plus Haute des Solitudes, où on voit des chibanis vivre dans le seul pays auquel ils appartiennent vraiment : le pays de l’imagination. J’enseigne aussi L’Enfant de sable et La Nuit sacrée, un diptyque qui lui a valu le Goncourt.

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« Tous ces livres sont ses grandes orgues. Mais j’aime tout particulièrement cette petite sonate – je devrais dire ce nocturne – qu’est Jour de silence à Tanger. Ce livre raconte les derniers jours de l’existence d’un vieil homme, ses prières, ses silences, sa méditation, le temps suspendu. Tout se résume à cette relation entre un homme – l’auteur – et ce père qui s’éteint… J’aime ce roman qui ne roule pas des mécaniques, à la frontière du récit ; c’est un livre où il ne se passe pas grand-chose et où règne une grande douceur. »

Léon l’Africain, d’Amin Maalouf

Pour la dimension qu’il donne du continent. « Amin Maalouf est un écrivain libanais qui a longtemps été journaliste à Jeune Afrique. Selon moi, en devenant romancier, il a gardé le sens de l’actualité et celui du rythme utile à la narration, ainsi que, en arrière-plan, la scène toujours inflammable qu’est le Moyen-Orient. A tout cela, il rajoute la focale de l’histoire et c’est ainsi qu’il écrit Léon l’Africain, une sorte de “grand reportage de l’histoire”. J’aime qu’il soit intéressé par la dramaturgie : chez lui, l’écriture ne se limite pas à une recherche esthétique, il veut atteindre son lecteur en plein cœur. Et il y parvient en excellent artisan.

« Son Léon l’Africain est un Berbère d’Andalousie à la vie romanesque à souhait. Il est tout à la fois arpenteur, découvreur, aventurier plus grand que nature, bref, il nous charme totalement. Je trouve que ce roman agrandit l’idée qu’on se fait de l’Afrique : ce n’est pas seulement un continent physique, des populations et une diaspora, mais un monde sans frontières, un imaginaire où se jouent l’aventure, le mouvement, le picaresque, un continent chargé de mille et une histoires et marqué par la grande histoire. »

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