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pourquoi le boycott sportif n’aura pas lieu

pourquoi le boycott sportif n’aura pas lieu


Les footballeurs de l’équipe de France à l’entraînement à Clairefontaine (Yvelines), le 20 septembre 2022.

« J’irai à la nage à Buenos Aires s’il faut. » A l’approche de la Coupe du monde 1978, Michel Platini n’envisage pas de renoncer au voyage en Argentine pour marquer le coup contre les exactions du régime du général Videla. Comme ses coéquipiers, le meneur des Bleus reste insensible aux arguments de nombreux intellectuels de l’époque (Louis Aragon, Roland Barthes, Marguerite Duras). Le plus politisé, Dominique Rocheteau, propose bien de porter un brassard noir en mémoire des victimes du pouvoir en place. Son idée fait un flop. Quarante-quatre ans plus tard, les joueurs de l’équipe de France n’iront pas au Qatar à la brasse ou en dos crawlé, mais en avion. Comme toutes les autres sélections qualifiées.

A un peu plus d’un mois du début du tournoi (20 novembre-18 décembre), la question du boycott gâche peut-être les préparatifs pour Doha, mais, dans les faits, aucun pays n’adoptera la politique du vestiaire vide. Trop d’enjeux économiques, trop tard, trop risqué et anachronique… les raisons ne manquent pas. Le boycott dit « total » – celui qui consiste à garder son équipe ou ses athlètes à la maison – renvoie surtout à la guerre froide, quand l’absence de l’URSS (et ses alliés) lors des Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, répondait à celui des Etat-Unis et d’une partie des pays occidentaux, quatre ans plus tôt, à Moscou.

Le contexte géopolitique de 2022 n’est pas celui de l’époque où Jimmy Carter et Leonid Brejnev échangeaient par l’intermédiaire du téléphone rouge. « Le boycott a été utilisé dans les années 1970 et 1980, mais il est resté depuis une simple menace, avance Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. En réalité, il posait un problème. Il pénalisait sportivement le pays qui le décidait, tout en laissant la place au camp adverse. Il flattait l’ego national, mais il était contre-productif et ne changeait pas les rapports de force. » Après tout, l’absence des Américains à Moscou n’a pas entraîné le retrait immédiat de l’armée soviétique d’Afghanistan.

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Coiffés au poteau par le Qatar pour l’obtention du tournoi en 2010, les Etats-Unis ont été à la pointe du combat judiciaire pour dénoncer une attribution présumée frauduleuse, mais sans jamais envisager la possibilité de ne pas envoyer leur équipe. Seule la Norvège a mis la question sur la table. Réclamé par des clubs et des supporteurs en réaction aux conditions des travailleurs migrants révélées par l’article du Guardian en février 2021, un vote est organisé en juin de la même année par la fédération de football norvégienne lors d’un congrès extraordinaire. Le non l’emporte haut la main. Coïncidence ? Peu avant, la FIFA avait agité la menace d’une suspension pour les éliminatoires du Mondial 2026.

Une question morale et citoyenne

Pour 2022, la Norvège a raté sa qualification sur le terrain et n’est plus concernée par le débat actuel. Hautement improbable peut-être, l’idée d’un boycott a pourtant infusé dans les opinions ces dernières semaines. En Europe surtout. Selon un sondage commandé par l’agence de presse Deutsche Presse-Agentur, 48 % des Allemands interrogés seraient en faveur d’un retrait de leur sélection.

En France, ils étaient 39 %, en avril, à souhaiter que les Bleus renoncent à se rendre à Doha, selon un sondage Odoxa pour RTL. Mais la question n’a jamais été d’actualité pour la Fédération française de football (FFF). Hors de question de ne pas défendre un trophée gagné en 2018, à quelques mètres du président russe, Vladimir Poutine, quatre ans après l’annexion de la Crimée.

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De son côté, Amnesty International n’appelle pas à un boycott, qu’elle sait impossible, et privilégie d’autres modes d’action. Dans sa lettre adressée aux joueurs de l’équipe de France (« Ramener la Coupe à la maison »), l’organisation internationale sollicite la conscience politique, citoyenne et écologiste des champions du monde : « Investissez-vous en exprimant clairement votre solidarité, par votre parole publique, dans un message sur vos réseaux sociaux ou en signant notre pétition. »

« Actuellement, on voit apparaître le désir d’un boycott moral, observe Jean-Baptiste Guégan. Or, dans les relations internationales, la morale est une boussole, mais pas une réponse. Mais si on boycotte ce Mondial, il faut en faire de même avec une partie des groupes du CAC 40 dans lesquels l’argent du Qatar est présent. » Au pays de l’artiste engagé, Vincent Lindon ne demande rien de moins qu’aux partenaires de Kylian Mbappé de prendre une position que le gouvernement ne peut assumer selon lui. « Un Etat n’a pas le droit de demander à des joueurs de boycotter la Coupe du monde, mais un joueur, il est libre, c’est un artiste », avançait l’acteur sur le plateau de C à vous, début septembre.

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Au moment où les mairies annoncent les unes après les autres renoncer à installer des écrans géants pour diffuser les matchs de cette Coupe du monde automnale, le boycott est devenu un sujet intime pour l’amateur de football. Regarder un France-Australie, par exemple, est-ce fermer les yeux sur le sort de centaines de milliers de travailleurs migrants au Qatar et cautionner une gabegie environnementale ?

Certains ont tranché la question. Eric Cantona – qui n’a jamais disputé un Mondial pendant sa carrière – a dit préférer les rediffusions de Columbo. Plusieurs membres du principal groupe de supporteurs des Bleus, les Irrésistibles Français, annoncent aussi avoir renoncé à suivre les Bleus pour des questions de valeurs. Le boycott total est devenu citoyen et sa réalité – au-delà des intentions déclarées dans un sondage – sera facile à mesurer dès le 20 novembre. Il suffira de regarder les chiffres d’audience des matchs.

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