Au pouvoir depuis 1982 et malgré un état de santé manifestement dégradé depuis quelques années, le président camerounais, Paul Biya, célèbre, dimanche, 40 ans de règne à la tête de son pays, faisant de lui le deuxième chef d’État encore de ce monde à la plus grande longévité au pouvoir (monarchies exceptées).
C’est l’un des records de longévité au pouvoir d’un chef d’État. Deux générations de Camerounais ont vu le jour sous la présidence de Paul Biya qui célèbre, dimanche 6 novembre, 40 ans de règne sans partage que certains au Cameroun voudraient voir s’achever tout en redoutant l’instabilité qui s’en suivrait.
À 89 ans et avec une santé fragile, le « sphinx » est – monarchies exceptées – le deuxième chef d’État au monde à la plus grande longévité encore au pouvoir, derrière son voisin de Guinée équatoriale Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (plus de 43 ans).
À ses débuts, il promettait de placer son mandat sous le signe du « Renouveau ». Mais dans ce vaste pays d’Afrique centrale, une frange des moins de 40 ans l’espèrent toujours, après sept réélections.
« Quand j’étais petit, ça me paraissait normal de voir Paul Biya président, c’était comme un roi pour moi. En grandissant j’ai découvert le principe des élections », s’amuse Paul Bopda, 18 ans, étudiant en biologie à l’Université Yaoundé I, la plus ancienne du Cameroun, qui accueille 72 000 étudiants.
Pour de nombreux jeunes Camerounais, l’alternance démocratique demeure au mieux une idée abstraite et au pire une impasse : « Je ne crois pas au changement politique mais, à son âge, il devrait laisser la place aux jeunes », lance sa camarade Angela, 18 ans. « On n’arrive plus à bien manger », se lamente-t-elle en invoquant l’inflation sur les prix des biens essentiels.
Première puissance économique d’Afrique centrale
Malgré ses ressources considérables, la première puissance économique d’Afrique centrale compte plus de 8 millions de pauvres sur quelque 25 millions d’habitants.
Elle demeure engluée dans la tranche inférieure des pays à revenus intermédiaires de la Banque mondiale, depuis de nombreuses années et ce, en dépit des promesses répétées du pouvoir d’améliorer ce classement.
Dans les allées du marché central de Yaoundé « les affaires tournent au ralenti », témoigne Christelle, 30 ans, vendeuse dans une boutique d’électronique, qui dit gagner 50 000 francs CFA par mois (76 euros). « Il faut de l’alternance, on ne peut pas avoir connu un seul président à 30 ans », ajoute la jeune femme.
Pour d’autres commerçants, le chef de l’État ne peut être accusé de tous les maux. « C’est un papa mais il ne peut pas être partout », estime Daniel Hector Ebaa en désignant une toiture jonchée de détritus : « Regardez cette poubelle, ce n’est pas la faute de Biya, c’est la société qui doit se prendre en main », assure ce père de famille de 43 ans.
La longévité au pouvoir peut aussi s’avérer gage de stabilité, « surtout quand on compare notre situation à celle des pays limitrophes », le Nigeria, le Tchad, la Centrafrique… note une démographe de 37 ans, au ministère de la Planification, invoquant son « devoir de réserve » pour garder l’anonymat.
Pour les fonctionnaires, « on ne peut pas dire que tout est noir, il y a des choses à améliorer », souligne-t-elle, en réclamant une revalorisation des salaires et un « assainissement de la gouvernance ». Elle dit gagner 210 000 francs CFA par mois (320 euros).
Deux conflits sanglants
Le Cameroun fait également face à deux conflits sanglants, contre les jihadistes dans l’extrême-nord et contre les indépendantistes armés dans l’ouest peuplé par la minorité anglophone. Là, l’armée et les séparatistes sont accusés de commettre des crimes contre les civils par les ONG et l’ONU.
Ce conflit a fait plus de 6 000 morts et déplacé plus d’un million de personnes en moins de six ans, selon International Crisis Group.
« Paul Biya avait l’opportunité de résoudre la crise anglophone sans la moindre perte en vie humaines, mais il n’a adopté que des mesures de façade, avec mauvaise foi », estime Kevin Teboh Tekang, 33 ans, enseignant dans un collège de Buéa, en zone anglophone.
« La plupart des jeunes anglophones sont encore au Cameroun non pas par patriotisme, mais à cause de la pauvreté car ils n’ont pas les moyens de quitter le pays », regrette-t-il.
La démographe au ministère de la Planification redoute une « succession » et un plongeon dans une « instabilité qui pourrait nous faire perdre une génération, alors que les jeunes sont le fer de lance de la Nation ».
Sur le campus de l’université de Yaoundé, Durand Djomou, étudiant en biologie de 19 ans, ne parvient même pas à imaginer l’avenir sans Paul Biya. « Ce qui est sûr, c’est qu’avec une autre personne, on ne sait pas ce qui pourrait se passer et ça pourrait être encore pire », lâche-t-il.
Avec AFP