Curieusement, la lutte contre l’inflation use de moyens un peu datés : la flagellation et la saignée. Il s’agirait de tuer le mal par le mal, l’inflation par la récession dans le cas de l’économie.
C’est le traitement proposé par les banques centrales, en remontant les taux directeurs. Appuyer des deux pieds sur la croissance économique afin que les prix cessent de grimper, plutôt que subir la hausse des prix qui freine la croissance. On remplace l’effet par la cause, une figure de style qui a déjà fait ses preuves en littérature : la métonymie. Alors pourquoi pas en économie ?
Plutôt que de laisser l’inflation galopante étouffer le pouvoir d’achat, autant l’étrangler complètement en durcissant les conditions financières. A la hausse du coût de la vie, on choisit d’ajouter la hausse du coût de l’argent. Plus tôt l’effondrement surviendra, plus tôt l’inflation disparaîtra. On ne cherche donc plus à contenir la récession, on l’encourage. On en exagère les traits, on obtient alors une forme de récession amphigourique, dont l’objectif est de « séduire l’inflation » : « Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ? » (Le Goût du néant, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857).
C’est peut-être efficace, mais c’est dur à avaler. Cette idée de se faire du mal pour ne plus avoir mal n’est certes pas pour déplaire à l’Homo economicus. En effet, il a toujours entretenu des relations tordues avec le concept de jouissance, comme nous le rappelle le philosophe et professeur à l’université Paris-VIII Dany-Robert Dufour (Pléonexie, « La bibliothèque du Mauss », Le Bord de l’eau, 2015, et Baise ton prochain, Actes Sud, 2019).
« Le bourreau de soi-même »
Mais quand même. Peut-être la posture sadienne est-elle un poil excessive et faut-il lui préférer la posture baudelairienne : celle du spleen, décrite à merveille dans L’Héautontimorouménos (« le bourreau de soi-même », en grec), un autre des poèmes des Fleurs du mal.
Les quelques vers suivants sont plutôt explicites :
« Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau ! »
Peut-être notre agent économique est-il dans les mêmes dispositions ? C’est en tous les cas le pari que font nos banques centrales en décidant de remonter les taux d’intérêt directeurs afin d’abrutir complètement un consommateur déjà étourdi.
Mais n’est pas héautontimorouménos qui veut. Si les baby-boomeurs ont encore le goût de la madeleine inflationniste des années 1970-1980, ce n’est pas le cas des générations Y, Z ou alpha. Pour ces dernières, l’inflation n’a jamais été qu’une histoire à faire peur aux enfants, un genre de monstre du loch Ness surveillé par des policiers prenant la pose pour les touristes : les banques centrales.
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