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Cyril Ramaphosa a passé le week-end, mais il est loin d’être sorti d’affaire. Menacé par une procédure de destitution, le président sud-africain semblait proche de la démission, en fin de semaine, après la publication d’un rapport le mettant en cause pour une possible violation de la Constitution. Invisible pendant plusieurs jours, il a finalement décidé de contester les conclusions du rapport devant la Cour constitutionnelle. Dans la foulée, il a obtenu, lundi 5 décembre, le soutien décisif de son parti, le Congrès national africain (ANC), avant le débat sur le document, prévu à l’Assemblée mardi 13 décembre.
En 2018, le parti qui règne sans partage sur l’Afrique du Sud depuis la chute de l’apartheid avait placé Cyril Ramaphosa au pouvoir après avoir forcé l’ancien président, Jacob Zuma, à la démission sur fond de multiples scandales. Un an plus tard, il était élu sur la promesse d’une « aube nouvelle » débarrassée de la corruption, devenue endémique au sein de l’administration. En crise, le parti de Nelson Mandela pensait s’être trouvé un sauveur. Mais voilà ce dernier accusé d’avoir volontairement passé sous silence le cambriolage de l’une de ses fermes, au cours duquel au moins 580 000 dollars à l’origine incertaine auraient été dérobés.
La dimension politique de la charge ne fait guère de doute. A l’origine de l’affaire, une plainte déposée en juin 2022 par Arthur Fraser, un ancien chef des renseignements connu pour avoir « sauvé » Jacob Zuma des griffes de la justice à plusieurs reprises. Il accuse le président Ramaphosa d’avoir missionné une équipe clandestine pour partir à la poursuite des cambrioleurs jusqu’en Namibie. Il assure qu’ils auraient été payés en échange de leur silence une fois rattrapés. L’ancien espion suggère que Cyril Ramaphosa aurait étouffé l’affaire pour éviter d’avoir à s’expliquer sur l’origine de l’argent subtilisé.
Séisme politique
Le 30 novembre, un « panel » de juristes, mandaté par le Parlement à la demande d’un petit parti d’opposition afin d’examiner le rôle du président dans cette affaire, a estimé qu’il existait « de prime abord » suffisamment de raisons de penser que le chef de l’Etat a violé la Constitution pour justifier l’établissement d’une commission d’enquête parlementaire chargée de statuer sur la culpabilité du président. La nouvelle a provoqué un séisme, à dix jours de l’élection de la présidence de l’ANC, dont dépend la gouvernance du pays. Car ce ne sont pas les électeurs sud-africains qui élisent le président, mais le parti majoritaire à l’Assemblée nationale.
Pour une fois, l’élection à la tête du parti de Cyril Ramaphosa, qui ferraille depuis son arrivée au pouvoir pour imposer sa ligne anticorruption contre une faction restée proche de Jacob Zuma, semblait incontestée, garantissant sa candidature à un deuxième mandat à la présidence du pays en 2024. Toutes ces quasi-certitudes ont volé en éclats le 30 novembre. Mais, passé la stupéfaction, les critiques se multiplient sur le rapport désormais appelé, à la demande du président, à être examiné par la Cour constitutionnelle. Une procédure à hauts risques qui met aux prises la justice et le Parlement alors que la jeune démocratie sud-africaine utilise ce mécanisme de destitution pour la première fois.
Dans son recours, consulté par Le Monde, le président sud-africain tente de démolir le dossier en soutenant que le panel nommé pour examiner l’affaire est passé à côté de sa mission en s’appuyant pour l’essentiel sur des « informations » et non des « preuves ». Il reproche ainsi aux juristes de s’appuyer sur des « spéculations » colportées par Arthur Fraser, dont le récit semble, par moments, « tiré d’un film », estime le président. Cyril Ramaphosa reproche aussi au panel d’avoir omis d’examiner la recevabilité de la poignée de « preuves » qui lui ont été soumises et dont il suggère qu’elles sont susceptibles d’avoir été obtenues illégalement.
Provenance de l’argent en question
Même s’il était établi qu’une faute avait été commise, le président assure par ailleurs avoir agi « de bonne foi », une dimension ignorée par le panel, estime-t-il. Il enjoint enfin à la Cour constitutionnelle d’écarter toutes les recommandations fondées sur les interrogations autour de l’origine du pactole dérobé. Cette question, balaie le président, n’a pas été soulevée dans la requête à l’origine de la nomination du panel et doit donc être ignorée. C’est pourtant celle qui concentre l’attention, tant les zones d’ombre sont nombreuses autour de la provenance des sommes disparues. Le président assure, sans convaincre jusqu’ici, qu’elles proviennent de la vente de bœufs d’une grande rareté.
Quelle que soit l’issue de la contre-offensive de Cyril Ramaphosa, elle permet au président d’offrir dans l’immédiat à son parti un prétexte pour s’opposer à l’adoption du rapport par le Parlement. « Après un long débat (…), il a été convenu qu’à partir du moment où le rapport est contesté en justice, l’ANC votera contre [son adoption] quand il sera débattu par le Parlement », a ainsi déclaré Paul Matashile, le trésorier et secrétaire général par intérim de l’ANC, à l’issue de la réunion du comité de direction du parti, lundi.
Mais le recours déposé devant la Cour constitutionnelle n’écarte en rien la menace qui pèse désormais sur la réélection de Cyril Ramaphosa à la tête de l’ANC. « Ce recours n’est pas simple », confesse le président, conscient des implications. Jusqu’alors considéré comme la dernière digue capable de préserver l’ANC du naufrage, le voici aujourd’hui réduit à partir en guerre contre une procédure menaçante, comme l’a si souvent fait Jacob Zuma. Au risque de déstabiliser les institutions.