Tout est calme au port de Lorient. En cet après-midi ensoleillé de début août, des touristes flânent le long des pontons autour de la Cité de la voile. En apparence, rien ne laisse encore présager que, dimanche 6 novembre, de nombreuses équipes de course au large basées dans le port morbihannais prendront le départ de la Route du rhum. Quelque 138 skippeurs participent à la course transatlantique en solitaire depuis Saint-Malo à destination de La Guadeloupe. Pourtant, ici ou là, dans les hangars, les techniciens s’affairent sur les bateaux.
C’est là, en face de l’ancienne base de sous-marins de Keroman, que les techniciens de l’équipe Gitana préparent Maxi Edmond de Rothschild à une sortie en mer. David Boileau, le responsable du bateau, veille à ce que le multicoque de 32 mètres de long soit prêt à naviguer. Trois embarcations semi-rigides aident le maxi-trimaran à quitter le ponton et sortir du port. A son bord, Charles Caudrelier, le skippeur, Morgan Lagravière, son remplaçant, et David Boileau pour un court aller-retour entre la côte et l’île de Groix.
A 48 ans, Charles Caudrelier prend le départ de sa toute première Route du rhum. Plus connu pour ses victoires en équipage ou en double, le Finistérien a notamment remporté deux Volvo Ocean Race – un tour du monde en équipage –, dont un en tant que skippeur, et trois Transat Jacques-Vabre. Mais c’est dans l’exercice en solitaire qu’il s’est toujours senti le plus à l’aise. « La Route du rhum est le but de sa vie, confie au Monde Morgan Lagravière. Il y va pour gagner. J’admire sa capacité à s’investir, il est incroyable, il n’arrête jamais. »
Charles Caudrelier se dit serein avant le grand départ. « J’ai eu le temps de me préparer. Avoir une vision au long terme, savoir où je serai trois ans après, ça ne m’était jamais arrivé. C’est parfait. » Le marin a axé sa préparation sur le mental, un point-clé, selon lui, pour la navigation en classe Ultime, qui rassemble les multicoques de plus de 30 mètres. Il a rencontré l’apnéiste Arnaud Jerald pour optimiser, grâce à un travail sur la respiration, sa récupération et rester calme en toutes circonstances. « On me donne accès à tout ce dont j’ai besoin pour réussir et j’en profite », se réjouit le navigateur.
« S’adapter aux aléas »
Après quelques manœuvres, Maxi Edmond de Rothschild quitte le port. La légère brise s’engouffre dans les voiles, le maxi-trimaran navigue à 20 nœuds (environ 37 km/h). Pas assez vite pour abaisser les foils, ces appendices sur la coque qui permettent au bateau de voler. A défaut de travailler sur un nouveau foil posé et testé la veille, Charles Caudrelier et David Boileau discutent au pied du mât des moyens d’améliorer l’aérodynamisme de la grand-voile. « Il faut être efficace, malin et s’adapter aux aléas, explique Charles Caudrelier. C’est comme un hélicoptère. Il y a beaucoup d’heures de maintenance et d’optimisation pour une heure de vol. Il faut trouver le bon compromis entre naviguer et mettre au point le bateau. »
Depuis sa nomination en tant que coskippeur du Maxi Edmond de Rothschild, en 2019, aux côtés de Franck Cammas, le duo a presque remporté toutes les courses sur lesquelles il était engagé en équipage ou en double. « J’ai la chance d’avoir un bateau très bien né que je connais sur le bout des doigts. Il a beaucoup progressé », analyse Charles Caudrelier. Et le marin sait que la victoire se jouera sur des détails : « La différence entre les meilleures équipes est technologique, il faut donc le meilleur bateau. »
Pour optimiser le maxi-trimaran, Charles Caudrelier peut toujours compter sur Franck Cammas qui, bien que remplaçant de Jérémie Beyou sur Charal 2 au départ de cette 12e édition du Rhum, est resté comme consultant pour l’équipe Gitana. Ils s’appellent quasiment quotidiennement pour parler du projet. « Techniquement, il n’y a pas une personne capable de développer un bateau comme lui », confie Charles Caudrelier.
Franck Cammas s’est éloigné quelque peu de l’équipe Gitana pour se consacrer à la Coupe de l’America. Un atout pour l’équipe, car les multicoques de la Coupe de l’America ont été les premiers à « voler ». « Et si Maxi Edmond de Rothschild est un si bon bateau, c’est que son architecte, Guillaume Verdier, travaille depuis dix ans sur la Coupe. On a un coup d’avance grâce à cela. »