En pleine sécheresse historique, plusieurs milliers de manifestants ont bravé samedi l’interdiction de la préfecture des Deux-Sèvres pour crier leur opposition aux « bassines » près du chantier d’une nouvelle réserve d’eau destinée à l’irrigation agricole. Des heurts ont éclaté entre les manifestants et les forces de l’ordre faisant des dizaines de blessés des deux côtés.
De violents heurts ont fait, samedi 29 octobre, une soixantaine de blessés côté gendarmes et une trentaine côté manifestants, selon de derniers bilans, lors d’un rassemblement interdit par la préfecture des Deux-Sèvres contre une « mégabassine » pour l’irrigation agricole.
« 61 gendarmes ont été blessés, dont 22 sérieusement », a tweeté le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour qui « ce chiffre démontre que ce n’était pas une manifestation pacifique mais un rassemblement très violent ».
« J’espère que toutes les forces politiques républicaines condamneront ces violences », a ajouté le ministre, qui selon son entourage est rentré à Paris dans la soirée « pour suivre depuis Beauvau l’évolution de la situation à Sainte-Soline ».
Côté manifestants, une trentaine de personnes ont été blessées, dont dix prises en charge par les pompiers et trois hospitalisées, selon le collectif « Bassines Non merci », qui rassemble des associations environnementales, organisations syndicales et groupes anticapitalistes opposés à cet « accaparement de l’eau » destiné à l' »agro-industrie ».
Des grenades lacrymogènes ont été lancées et des élus arborant leur écharpe tricolore molestés, notamment la députée écologiste de la Vienne, Lisa Belluco, selon un photographe de l’AFP.
La préfecture dénombre quatre blessés communiqués par les secours.
Parmi les opposants touchés, Julien Le Guet, l’un des porte-parole du collectif, aperçu par l’AFP le visage bandé et avec un filet de sang le long du nez après une brève interpellation.
La préfète Emmanuelle Dubée a également fait état samedi soir de six interpellations à l’issue de ce rassemblement ayant réuni 4 000 personnes selon elle, 7 000 selon les organisations.
1 500 gendarmes mobilisés
Mme Dubée a dénoncé la présence de « 400 profils black-block et activistes très violents », ainsi que des « jets de cocktail molotov, des tirs de mortier, des explosifs puissants, des projectiles ».
Avec une surface à couvrir de plusieurs hectares à travers des champs céréaliers, les 1 500 gendarmes mobiliés ont eu du mal à contenir la foule, dans laquelle des centaines de militants masqués ou cagoulés côtoyaient des familles et de nombreux retraités.
Des militants « antibassines », une cinquantaine selon la préfecture, ont réussi à forcer des grilles protégeant le chantier puis à entrer brièvement à l’intérieur, avant d’être repoussés, a constaté un journaliste de l’AFP.
« Ils ont tous été repoussés donc la manoeuvre est un succès », a conclu la préfète, rappelant que l’interdiction de manifester était toujours valable jusqu’à lundi.
Après un face-à-face tendu d’environ une heure au bord de la réserve, les manifestants ont fait demi-tour vers le champ prêté par un paysan pour qu’ils puissent y installer un campement près de ce chantier, devenu le nouvel épicentre d’un conflit sur l’usage de l’eau qui se raréfie avec le réchauffement climatique.
Le collectif Bassines Non Merci s’est félicité dans un communiqué d’avoir « réussi à déjouer la dizaine de barrages et à entrer dans le chantier » et affirmer vouloir se servir de ce campement comme « base d’appui » pour « continuer à stopper le chantier ».
Sécheresse hors norme
Sainte-Soline est la deuxième d’un projet de 16 réserves de substitution élaboré par un groupement de 400 agriculteurs réunis dans la Coop de l’eau, pour « baisser de 70 % les prélèvements en été », dans cette région encore soumise à des restrictions d’irrigation après une sécheresse estivale hors norme.
Ces réserves sont des cratères à ciel ouvert, recouverts d’une bâche en plastique et remplis grâce au pompage de l’eau des nappes phréatiques superficielles l’hiver. ElIes peuvent stocker jusqu’à 650 000 m3 (soit 260 piscines olympiques) d’eau pour irriguer l’été.
« On est le 29 octobre, c’est sec partout, c’est aberrant d’accaparer toute l’eau disponible pour quelques cultivateurs de maïs », a dénoncé l’eurodéputé Yannick Jadot, présent sur place comme d’autres élus écologistes, dont la députée Sandrine Rousseau. La France insoumise soutenait aussi ce rassemblement.
Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a souligné sur France inter que le « projet n’avait pas de conséquences négatives pour les nappes » phréatiques, selon un rapport récent.
Selon cette étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le projet pourrait, par rapport à la période 2000-2011, augmenter « de 5 % à 6 % » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1 % l’hiver, sans prendre en compte l’évaporation potentielle des futures réserves, ni la menace de sécheresses récurrentes liée au réchauffement climatique.
Christophe Béchu a également rappelé que le « plan signé par tout le monde il y a quatre ans » après une longue concertation entre agriculteurs, élus, autorités et associations, conditionnait l’accès à l’eau à des changements de pratiques (réduction des pesticides, plantation de haies, conversion à l’agroécologie).
Mais aucun des dix agriculteurs utilisant la première retenue « n’a souscrit de réduction de pesticides », selon Vincent Bretagnolle, membre du comité scientifique et technique de suivi (CST) du projet, et depuis la signature, plusieurs associations se sont retirées du protocole.
Avec AFP