De la sobriété. Conseils pour vivre longtemps, tel est le titre de l’ouvrage publié par Luigi Cornaro, en 1558. Ce Vénitien, libertin et noceur, affligé de crises de goutte dès l’âge de 30 ans, sut « changer de vie » pour retrouver la santé et finit quasi centenaire. Il peut être considéré comme un des apôtres de cette sobriété appelée aujourd’hui à rendre plus durables non seulement la vie individuelle, mais la présence humaine sur Terre.
La sobriété comme art de jouir de la vie, avec une retenue garante de plaisirs durables. Platon [v. 427 av. J.-C.-v. 348 av. J.-C.] recommandait déjà la modération dans La République : il ne faut livrer la partie désirante de notre âme « ni au manque ni à la satiété ». Pour vivre bien et longtemps, la sagesse, dès alors, consistait à « évaluer ses désirs pour satisfaire ceux-là seuls qui sont raisonnables ».
Depuis 2015 et les accords de Paris, les chercheurs ont souvent fait appel à cette notion ancienne de sobriété, cette vertu d’autrefois, cet art de la tempérance exalté par saint Thomas d’Aquin [1225-1274], transmis avec rigueur dans les sociétés protestantes traditionnelles, et que la société de consommation a, si dangereusement, ringardisé dans la seconde moitié du XXe siècle.
Appeler à la sobriété telle qu’elle est définie par les philosophes, c’est faire réfléchir les citoyens à leurs désirs de consommateurs, au mimétisme qui les incite à loucher sur les biens de leurs voisins, à leur soif de reconnaissance, dont les marques savent si bien jouer pour instiller l’envie et faire tourner toujours plus vite les usines du monde. Il s’agit de trouver un chemin de crête, où chacun pourrait « vivre mieux avec moins », en préservant la possibilité de l’existence humaine à moyen terme.
Apprendre à réparer
Mais la sobriété à laquelle le président Macron a exhorté les Français début septembre a-t-elle quelque chose à voir avec cette notion complexe, cet art subtil de la « vie bonne » ? Rien n’est moins sûr. Dans notre ouvrage Comment consommer avec sobriété (De Boeck Supérieur, 2021), nous montrons comment les mots structurent nos représentations. Alors que la sobriété commençait pour certains, échaudés par les températures extrêmes des derniers mois, à devenir une valeur, une voie possible vers une façon de vivre plus réfléchie, voilà qu’elle est aujourd’hui associée, avant tout, à la gestion de la pénurie énergétique et, qui plus est, d’une pénurie a priori transitoire.
Débrancher certains de nos appareils électriques et enfiler un pull supplémentaire en chauffant à 19 degrés, comme on nous y incite, est bien entendu nécessaire dans une telle conjoncture.
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