L’ex-juge Jacques Delisle, libéré de l’accusation de meurtre prémédité qui pesait contre lui, devra-t-il subir un nouveau procès? Les parties feront valoir leurs arguments mardi devant trois magistrats de la Cour d’appel, qui devront trancher la question.
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La longue saga de l’ex-juge Jacques Delisle se poursuit, alors que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conteste maintenant l’arrêt des procédures prononcé en avril dernier à l’endroit de l’homme de 87 ans.
Rappelons que cette affaire a commencé en novembre 2009, alors que Nicole Rainville a été retrouvée sans vie, une balle dans la tête, dans son condo de Sillery. Son mari, Jacques Delisle, a marqué l’histoire en devenant le premier juge au Canada à être accusé puis reconnu coupable de meurtre prémédité, en 2012.
Jacques Delisle a toujours clamé son innocence. Après de vaines tentatives d’appel, il dépose en 2015 une demande de révision ministérielle. Au bout de six années d’enquête, le ministre fédéral de la Justice casse le verdict de culpabilité et ordonne un nouveau procès, se disant convaincu qu’une possible erreur judiciaire ait été commise.
Jacques Delisle a pu retrouver sa liberté en avril 2021, dans l’attente d’un second procès. Mais ce dernier n’aura pas lieu: l’ex-juge a bénéficié d’un arrêt des procédures, au motif que le pathologiste de l’État avait fait preuve de «négligence inacceptable» lors de l’autopsie de la défunte.
Le tribunal reprochait à cet expert de ne pas avoir documenté suffisamment l’angle du tir et la trajectoire de la balle dans le cerveau. Ces éléments étaient importants pour assurer la défense de Jacques Delisle, qui soutient que sa femme, diminuée physiquement et dépressive, s’est enlevé la vie.
«La non-disponibilité de ces éléments de preuve est à ce point dommageable que le droit du requérant de présenter une défense pleine et entière s’en trouve violé», écrivait la Cour supérieure.
Pour le ministère public toutefois, la «négligence» reprochée au pathologiste dans le dossier de l’ex-juge Jacques Delisle n’est pas suffisante pour faire tomber l’accusation. Elle s’est donc adressée à la Cour d’appel dans l’objectif de casser l’ordonnance d’arrêt des procédures et d’obtenir un nouveau procès.
La défense demande quant à elle à ce que l’arrêt des procédures soit maintenu. Les avocats de Jacques Delisle doivent aussi présenter une requête pour rejeter l’appel de la Couronne, jugé «vexatoire, totalement injuste […] logé de mauvaise foi, contraire aux règles de la décence et du franc-jeu» et «abusif».
Les arguments du Directeur des poursuites criminelles et pénales
- Le pathologiste du ministère public n’a pas fait preuve de négligence inacceptable.
- La trajectoire de la balle n’est pas une preuve qui a été perdue ou détruite. Elle a été documentée par le pathologiste de la Couronne.
- L’identification précise de la trajectoire de la balle ne fait pas l’objet d’une obligation imposée au pathologiste.
- La trajectoire ne constitue pas un «élément essentiel de l’infraction que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable afin d’obtenir une déclaration de culpabilité quant au meurtre».
- Aucun argument quant à la qualité de l’autopsie n’a été soulevé lors du premier procès par la défense.
- Seule une «succession parfaite d’événements extraordinaires», incluant un tir dans une position non conventionnelle, rendrait «vraisemblable» la thèse du suicide. Le jury a d’ailleurs rejeté cette théorie au premier procès.
- De nouvelles expertises suisses confirment la position de la poursuite qui défend l’accusation de meurtre prémédité et «infirment les prétentions» de Jacques Delisle.
- Il existe une controverse entre les experts dans cette affaire et il appartient à un jury de trancher la question de la culpabilité.
Les arguments de Jacques Delisle
- Le juge de première instance n’a commis aucune erreur en concluant à la négligence inacceptable du pathologiste de la Couronne.
- L’angle et la trajectoire du tir avaient une importance dès l’autopsie et le cerveau aurait dû être découpé ou à tout le moins photographié et conservé.
- Une «autopsie de qualité suffisante» aurait établi avec certitude la trajectoire du projectile et l’angle du tir.
- Sept pathologistes «de grand renom» ont conclu que l’autopsie était «inadéquate, notamment à cause de la destruction du cerveau».
- Les experts suisses retenus par le ministère public ont été chargés de répondre à une série de questions «dont les plus importantes portent précisément sur la trajectoire et l’angle de tir».
- Deux pathologistes suisses mandatées par la Couronne seraient aussi d’avis que le pathologiste aurait dû conserver le cerveau.
- Ce n’est pas à l’accusé de rendre le suicide vraisemblable, mais à la poursuite d’en exclure la possibilité
- La preuve perdue revêtait une telle importance que sa disparition compromet l’équité d’un éventuel second procès.
La saga Delisle en dates
2012
Jacques Delisle est reconnu coupable du meurtre prémédité de son épouse et condamné à l’emprisonnement à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Il avait alors 77 ans.
2013
L’ex-juge porte sa cause en appel. La Cour d’appel rejette les arguments présentés par la défense et la Cour suprême refuse de se pencher sur le dossier. Jacques Delisle semble avoir épuisé tous ses recours.
2015
Se disant victime d’une erreur judiciaire, Jacques Delisle dépose une demande de révision ministérielle à Ottawa. Il avoue, pour la première fois, avoir aidé sa femme à s’enlever la vie en lui fournissant une arme chargée. Il soumet aussi de nouvelles expertises qui soutiennent selon lui la thèse du suicide.
2021
Le ministre fédéral de la Justice casse le verdict de culpabilité et ordonne un nouveau procès. David Lametti se dit convaincu de la possibilité qu’une erreur judiciaire ait été commise. À l’aube de ses 86 ans, après neuf ans passés derrière les barreaux, Jacques Delisle sort de prison et retourne vivre chez lui.
Avril 2022
L’ex-juge réclame un arrêt des procédures en raison de fautes graves qu’auraient commises les experts de la Couronne dans le dossier. La Cour supérieure lui donne raison et le libère de l’accusation de meurtre qui pesait contre lui. La Couronne porte en appel ce jugement.