Le gouvernement a annoncé mercredi la création prochaine d’un titre de séjour spécifique pour régulariser les sans-papiers volontaires pour travailler dans les « métiers en tension ». Cette mesure pourrait aider à lutter contre l’exploitation des sans-papiers et intervient dans un contexte où de nombreux pays européens manquent de main-d’œuvre.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le ministre du Travail, Olivier Dussopt, ont présenté, mercredi 2 novembre, dans le journal Le Monde, les grandes lignes du projet de loi « immigration », qui sera débattu au Parlement début 2023. Parmi les mesures évoquées, figure la création d’un titre de séjour pour les sans-papiers qui sont déjà en France et qui veulent travailler dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre.
Si les ministres n’ont, pour l’heure, pas mentionné les métiers concernés, de nombreux secteurs sont en recherche de main-d’œuvre et font déjà largement appel à des travailleurs étrangers, comme le BTP, la restauration, l’hôtellerie et l’agriculture.
La création du titre de séjour « métiers en tension » s’inspire de la circulaire Valls (2012), qui permet aux migrants présents sur le sol français depuis plusieurs années et qui travaillent depuis plusieurs mois d’obtenir une carte de séjour. Les dossiers sont examinés au cas par cas. La procédure requiert un contrat de travail ou une promesse d’embauche. La durée du titre de séjour correspond à la durée du contrat de travail, ou sur un an renouvelable, en cas de CDI.
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Avec le titre de séjour « métiers en tension », un travailleur en situation irrégulière pourra demander lui-même sa régularisation, « sans passer par l’employeur », qui peut « trouver un intérêt » à le maintenir dans la clandestinité, a précisé Olivier Dussopt. Les ministres n’ont, pour le moment, pas précisé si les sans-papiers devront présenter un contrat de travail ou une promesse d’embauche (comme c’est déjà le cas en vertu de la circulaire Valls), auquel cas, cette condition semblerait contradictoire.
La création du titre de séjour « métiers en tension » « permet de lutter contre des tas d’irrégularités et d’abus, comme le travail au noir ou les entreprises ‘voyous’ dont certaines ont fait un fond de commerce de l’emploi de clandestins, ce qui constitue une concurrence déloyale pour les entreprises qui font les choses dans les règles », abonde à l’AFP Emmanuelle Auriol, économiste à Toulouse school of economics. « Dans certains secteurs, les employeurs sont contents d’avoir des personnes en situation irrégulière pour moins bien les payer », ajoute la politologue Virginie Guiraudon.
« Donner une impulsion politique »
Selon elle, l’annonce du gouvernement est surtout symbolique. « C’est plutôt pour donner une impulsion politique ou pour se positionner politiquement sur la question », explique la directrice de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po. Virginie Guiraudon cite l’exemple du boulanger Stéphane Ravacley, qui avait fait une grève de la faim en janvier 2021 pour réclamer la régularisation de son apprenti Laye Fodé Traoréiné, visé par une obligation de quitter le territoire français.
« On n’a peut-être pas besoin d’une loi pour régulariser les sans-papiers », résume Virgine Guiraudon, pour qui le véritable « problème en France, c’est qu’on attend des mois, parfois des années pour avoir une réponse de la préfecture sur des papiers ».
La politologue Catherine Wihtol de Wenden, qui salue une mesure « rationnelle », espère que « ce nouveau titre de séjour pourra inciter les gens à ne pas demander l’asile, sachant qu’ils pourront candidater pour une migration de travail » et ainsi « désengorger le système de l’asile » en France.
Avec cette mesure, soutenue par les organisations patronales comme le Medef mais décriée par la droite et l’extrême droite, la France se tourne vers une politique d' »immigration choisie » ou plus précisément de « régulation choisie », « au compte-gouttes, pas massive », comme l’a précisé l’entourage de Gérald Darmanin au journal Le Monde. Pour l’heure, le gouvernement n’a pas précisé s’il envisageait de sélectionner de nouveaux arrivants en fonction des besoins dans l’économie. Quoiqu’il en soit, la création d’un titre de séjour « métiers en tension » rappelle la politique défendue par Nicolas Sarkozy quand il était président. Il avait proposé des quotas d’immigration, avant d’y renoncer.
L’Allemagne s’inspire du modèle canadien
Et la France n’est pas le seul pays à avoir fait ce choix. « Dans les pays européens, il y a une prise de conscience du manque de main-d’œuvre fournie par les citoyens nationaux et de la nécessité de s’ouvrir à l’immigration de travail. C’est un bon signe, parce que ça permettra à un certain nombre de gens de travailler légalement en Europe », affirme la spécialiste des politiques migratoires, Catherine Wihtol de Wenden.
Parmi nos voisins, l’Allemagne se rêve en « pays d’immigration moderne », selon les mots du chancelier Olaf Scholtz. « L’Allemagne a opéré un changement de sa politique d’immigration depuis l’arrivée d’Olaf Scholz au pouvoir », en assumant son statut de pays d’immigration, affirme Catherine Wihtol de Wenden. En arrivant au pouvoir, la coalition (SPD, Verts et FDP) a ainsi promis d’attirer chaque année 400 000 travailleurs qualifiés. En juin, elle a approuvé un plan permettant aux immigrés « tolérés », c’est-à-dire, bien intégrés, sans titre de séjour et acceptés sur le territoire, d’avoir un accès plus simplifié aux cours d’intégration et de langue professionnels.
Une autre réforme, dévoilée en juillet, autorise les étrangers à venir en Allemagne s’ils peuvent fournir la preuve d’une expérience professionnelle et un contrat de travail dans le pays. Enfin, l’Allemagne s’apprête à mettre en place un système à points pour attirer une main d’œuvre qualifiée. Un dispositif qui s’inspire du modèle canadien et de son système de visa incluant des critères linguistiques, de compétences, d’expérience.
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Au sud de l’Europe, l’Italie, qui s’inquiète du vieillissement rapide de sa population, recourt massivement à la population immigrée, notamment pour les emplois peu qualifiés dans le secteur agricole, le BTP ou encore l’hôtellerie-restauration. La chercheuse Virginie Guiraudon cite notamment l’exemple « des femmes qui travaillent dans les maisons de personnes âgées en Italie » et qui bénéficient d’un titre de séjour spécifique. « En Italie, est-ce que ça protège complètement les employés ? Ça reste quand même des métiers très mal payés donc ça ne règle pas tous les problèmes », se demande Virginie Guiraudon.
Cette politique d' »immigration choisie » pourrait, par ailleurs, être remise en cause en Italie par la nouvelle présidente du Conseil, Giorgia Meloni, classée à l’extrême droite et qui se positionne ouvertement contre l’immigration.