Il est des exercices militaires dont la symbolique géopolitique dépasse les seuls bénéfices tactiques escomptés par les militaires. C’est sans doute le cas de Mamba 2021, l’opération menée par les Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (Fazsoi) du 19 au 28 mai 2021. Celle-ci a mobilisé des navires, des avions et plus de 350 militaires français, dont des parachutistes, autour d’un scénario d’évacuation de ressortissants français dans un pays fictif situé quelque part entre La Réunion, Mayotte et les îles des Glorieuses.
Infiltration, projection et « resevac » – le terme consacré pour l’évacuation de ressortissants chez les militaires français – étaient au menu de cette vaste opération destinée à « valide[r] le plan de montée en puissance des Fazsoi », a notamment précisé le général de brigade Yves Métayer. Il s’agissait également d’une démonstration de force et de vérifier la capacité des militaires tricolores, « en cas de crise majeure », à « intervenir dans sa zone de responsabilité de l’Océan indien ».
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Hasard du calendrier ? Quelques jours plus tard, le 10 juin, à Paris, paraît au Journal officiel le décret faisant de l’atoll des îles Glorieuses (intégré à l’archipel des îles Éparses), la 170e « réserve naturelle française ». Ce confetti de 7 km2 situé le long du canal du Mozambique, dont la plus grande île est tout juste assez grande pour héberger une station météo et une piste d’atterrissage, est pourtant au cœur d’un différend territorial entre Paris et Antananarivo, depuis 1973.
Une commission pour noyer le poisson ?
Comme leurs prédécesseurs, les présidents Emmanuel Macron et Andry Rajoelina ont croisé le fer sur cette question. Les choses semblaient pourtant, au départ, partir sur de bons rails. En mai 2019, à l’issue d’une rencontre à l’Élysée, le président malgache réclame solennellement à son homologue français de « trouver une solution pour la gestion ou la restitution des îles Éparses, à Madagascar ». Si aucun accord n’aboutit, les deux hommes semblent s’entendre sur la nécessité de réouvrir le dialogue concernant cet épineux dossier. Une commission mixte paritaire, mise en place dans les années 1990 mais enterrée depuis, est relancée. Certains y voient cependant le moyen, pour la partie française, de noyer le poisson.
Dans les colonnes de Jeune Afrique, Raymond Ranjeva, ancien vice-président la Cour internationale de justice, évoque une « décolonisation tronquée » et ne manque alors pas de rappeler que « la question juridique est close » sur ce dossier depuis que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution qui « invite le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache, en vue de la réintégration des îles Éparses, séparées arbitrairement de Madagascar ».
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« Ici, c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse, lance-t-il face caméra. On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète. Ce que nous préservons ici aura des conséquences sur les littoraux, y compris dans l’Hexagone. » L’argument environnemental – les îles Glorieuses sont un havre de paix et un lieu de reproduction pour cinq des sept espèces de tortues marines – , a cependant du mal à convaincre à Madagascar, où la levée de boucliers est immédiate.
Regardez ce paysage de l’île Glorieuse. Ce haut-lieu de notre biodiversité est en danger. À nous de le protéger : pic.twitter.com/sUiAHPGaKg
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 23, 2019
D’autant que si la commission mixte paritaire est en sommeil, le ministère de la Transition écologique français passe la vitesse supérieure. Une consultation publique est lancée en mai 2020 sur le « projet de décret relatif à la création de la réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses ».
Biodiversité et intérêts stratégiques
« L’objectif est de renforcer la protection de la biodiversité grâce à des moyens financiers et un gestionnaire présent dans la réserve », assure le site du ministère. La consultation, débutée le 11 mai 2020, est close le 1er juin suivant. Le ton monte encore d’un cran. Antananarivo convoque l’ambassadeur français. Lors du One Planet Summit, le 11 janvier 2021, le chef de l’État français enfonce le clou : « La création de cette réserve naturelle nationale est une concrétisation phare de la stratégie nationale des aires protégées pour la prochaine décennie. »
Pour la France, ces îles représentent 6 % de la Zone économique exclusive
Si la création de cette réserve naturelle nationale s’inscrit dans l’objectif affiché par Bérangère Abba, la secrétaire d’État française en charge de la biodiversité, de « protéger 30 % des espaces terrestres et marins français d’ici à 2022 », elle revêt également un enjeu énergétique et stratégique : le canal de Mozambique est à la fois riche en hydrocarbures et concentre pas moins de 30 % du trafic maritime mondial. Pour la France, ces îles représentent 6 % de la Zone économique exclusive (ZEE). Sur cette bande d’océan, située entre les eaux territoriales et internationales, le pays dispose de l’exclusivité de l’exploitation des ressources. Pour Paris, qui dispose de la deuxième plus grande ZEE du monde après Washington, on comprend que l’enjeu dépasse la seule protection des tortues marines.