Les retrouvailles ne dureront que deux mois et demi, mais après une si longue mise entre parenthèses, Landry Nkeyi, qui dirige le club de l’Oyem AC (Ligue 2) et est également président de l’Association des clubs de Ligue 1 et Ligue 2, ne cache pas son soulagement. Le 14 mai, les championnats ont repris, pour une saison qui s’achèvera fin juillet. Quatorze clubs de L1 et dix de L2 sont concernés. « Nous avons appris fin mars que le gouvernement avait accepté que les compétitions reprennent. La saison est courte, mais au moins, on rejoue », résume le dirigeant.
Après l’arrêt des championnats en 2020 pour cause d’épidémie de Covid-19, le ministre des Sports, Franck Nguema, avait organisé les assises du football gabonais en mai 2021, avec comme objectif principal la redéfinition des aides gouvernementales. Pendant plusieurs années, de l’argent public a été versé aux clubs de L1 et L2, afin qu’ils payent une partie des salaires des entraîneurs et des joueurs. Mais ces derniers, dans leur très grande majorité, n’ont perçu qu’une infime partie de leur dû.
L’État garant d’un salaire minimum
L’État gabonais a donc décidé de maintenir son aide financière, mais en changeant certaines pratiques. Ainsi, il prend en charge les frais de voyage, d’hébergement et de restauration de tous les clubs qui auront à se déplacer. « Il versera directement l’argent aux prestataires concernés, et non pas aux clubs », précise Bienvenu Obiang Essono, le président de l’US Bitam (Ligue 1).
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L’État s’est également engagé à payer, du 1er mai au 30 septembre, les salaires des joueurs de L1 et L2, à hauteur du salaire minimum qui a été fixé pour les entraîneurs et les joueurs. Les premiers toucheront 500 000 francs CFA en L1 (760 euros) et 300 000 en L2 (456 euros), les seconds 250 000 en L1 (380 euros) et 150 000 en L2 (228 euros). « Si les clubs le souhaitent, ou le peuvent, ils pourront verser un complément de salaire », poursuit Essono. En outre, l’État va verser 30 480 euros aux clubs de Ligue 1 et 19 050 euros à ceux de L2, pour cette mini-saison, afin de les aider à assumer une partie de leurs frais de fonctionnement.
Des clubs menacés de disparition
Mais après plus de deux ans sans activité – hormis pour les clubs engagés en coupes d’Afrique – les finances sont souvent exsangues. « L’État va accompagner les clubs pendant encore trois ans. Après, il faudra qu’ils trouvent leurs propres ressources, via le sponsoring privé, la billetterie, les transferts de joueurs, estime Landry Nkeyi. Cela va être compliqué, car le Gabon est un petit pays. »
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Bienvenu Obiang Essono renchérit : « certains clubs risquent de disparaître à court et moyen terme, notamment ceux qui ne sont pas soutenus par quelques partenaires économiques solides, ou dirigés par des présidents capables de mettre la main à la poche pour boucler les fins de mois difficiles. » Des clubs comme l’AS Mangasport de Moanda, qui bénéficie de l’aide de la Compagnie Minière de l’Ogooué (COMILOG), ou le Stade Mandji, soutenu par la municipalité de Port-Gentil, semblent à l’abri. « Ceux qui peuvent aussi compter sur une vraie assise populaire, et donc engendrer des recettes de billetterie non négligeables, ce qui est le cas de l’US Bitam, s’en sortiront mieux que d’autres », poursuit Bienvenu Obiang Essono.
Précarité
Du côté des joueurs, la tendance n’est pas à un fol optimisme, malgré le retour à la compétition. Certains ont même décidé de mettre un terme à leur carrière prématurément. C’est le cas de Gaston d’Ebando, 29 ans, qui a évolué pendant plusieurs saisons au Stade Mandji, à l’USM Libreville et à Téléstar. « Aujourd’hui, je gère un kiosque du Paris Mutuel Urbain gabonais dans le quartier de Petit-Paris, à Libreville. »
Comme des dizaines de joueurs gabonais, cet ex-milieu de terrain défensif, père de trois enfants, a payé cher l’interminable interruption des championnats gabonais. « Quand j’étais en activité, je touchais officiellement un salaire allant de 300 000 (460 euros) à 400 000 francs CFA (610 euros) par mois, poursuit-il. Mais sur une saison complète, on ne nous payait que deux ou trois mois. Cet arrêt de plus de deux ans a plongé la quasi-totalité des joueurs dans une précarité sans nom. Certains ont été expulsés de leur logement parce qu’ils ne pouvaient plus payer le loyer, d’autres ont dû déscolariser leurs enfants. »
Aujourd’hui, l’ancien joueur du Stade Mandji gagne entre 205 et 290 euros par mois avec sa nouvelle activité, qu’il espère faire évoluer à court terme, en se mettant à son compte, en partenariat avec le PMU. Son ancien club de l’USM Libreville l’a récemment sondé pour lui proposer de rejouer en Ligue 1. Il a décliné la proposition. « Le championnat va durer deux mois et demi. Et après ? Aura-t-on la certitude d’être payé, que les championnats vont se dérouler normalement ? Au moins, avec mon nouveau métier, j’ai un revenu fixe, même s’il n’est pas très élevé. Et puis, mentalement, je n’avais plus vraiment la force… »
Footballeur et barman
Arnold Ndong, lui, a trouvé la motivation pour poursuivre sa carrière. Mais pas à n’importe quelle condition. Ce défenseur de 25 ans, passé auparavant par l’US Oyem, Akanda et l’US Bitam, jouera cette saison sous les couleurs de l’AC Oyem, en Ligue 2, après avoir refusé des propositions pour évoluer en L1. « Pourquoi ce choix ? Parce que j’ai très peu confiance en les dirigeants du football. Je suis né à Oyem. J’y vis chez mes parents, et j’ai des enfants. Si je pars à Libreville ou en province et que je ne touche pas mon salaire de façon régulière, comme cela est la règle depuis des années dans le football gabonais, que vais-je devenir ? Au moins, en restant dans ma ville, j’ai une certaine sécurité… »
Pendant les longs mois d’interruption des championnats, Arnold Ndong n’a jamais envisagé de mettre un terme à sa carrière. Même privé de compétition, il a continué à s’entretenir physiquement, au moins un jour par semaine, quand son emploi du temps de barman dans un établissement de sa ville natale le lui autorisait. « Lors de mon dernier contrat de joueur, à Bitam, je gagnais autour de 228 euros par mois. Barman, je gagnais même un peu plus, et au moins, mon salaire tombait tous les mois. Cette longue interruption m’a obligé à réfléchir en avance à ma reconversion. Mais à 25 ans, je ne voulais pas arrêter, j’ai encore envie de jouer… »