Le 8 novembre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies s’est penché sur le cas de la Tunisie dans le cadre de la 41e session de l’Examen périodique universel (EPU). Les conclusions de l’organisation sont sévères, pointant de multiples défaillances. Tunis a choisi de ne pas assister à la réunion, mais la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, a transmis une allocution en vidéo dans laquelle elle conteste les accusations lancées contre le pays.
À Lire
Tunisie : Antoine Vey, nouvel avocat dans l’affaire Mehdi Ben Gharbia
Les exemples d’affaires problématiques en matière de respect des droits de l’homme ne manquent pourtant pas, et l’une d’elle avait été évoquée seulement trois jours plus tôt, à Paris. Elle concerne l’homme politique, ancien député et chef d’entreprise Mehdi Ben Gharbia, représenté par l’avocat Antoine Vey, ancien associé de l’actuel Garde des Sceaux français Éric Dupond-Moretti et spécialiste en droit pénal des affaires et en droit pénal international. Me Vey a déposé pas moins de trois recours auprès d’instances internationales pour dénoncer des dépassements en matière de droits de l’homme et de délai de détention de son client.
La défense évoque des prisonniers politiques
Le premier de ces recours a été adressé au Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU (GTA), le deuxième, à quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la torture, le droit à la santé physique et mentale, le droit au respect de la vie privée, et le troisième, à un rapporteur sur l’indépendance des magistrats et des avocats.
Mehdi Ben Gharbia, poursuivi pour blanchiment d’argent et détournement de biens publics, n’est pas autorisé à voir son fils de 5 ans, lequel a perdu sa mère en 2020. Sa détention préventive est arrivée à échéance le 15 avril 2022 et son état santé s’est nettement dégradé. Un premier juge, qui ensuite a été écarté, avait statué sur l’irrecevabilité des faits qui lui sont reprochés.
Le dépassement des délais légaux tend à indiquer que l’affaire serait d’ordre politique et qu’elle aurait été montée de toutes pièces, estime Ahmed Souab, ancien juge et membre du collectif de défense de Ben Gharbia. Antoine Vey, qui s’est tourné vers les instances internationales à force de désespérer d’un procès équitable, livre de son côté un constat cuisant pour la justice tunisienne : « Le dossier dort car il n’est pas géré par une autorité judiciaire indépendante mais par un pouvoir qui mélange le politique et le judiciaire. »
À Lire
Tunisie : Kaïs Saïed épinglé par la Cour africaine des droits de l’homme
« Les pays partenaires de la Tunisie, poursuit l’avocat français, ne peuvent pas continuer à avoir des relations diplomatiques et amicales si la situation des prisonniers politiques, et plus largement de la justice en Tunisie, n’est pas réglée. » Des propos que certains de ses confrères auraient pu tenir sous la dictature de Ben Ali.
Cette salve de recours est une démarche rare vis-à-vis de la Tunisie, dont on pensait qu’elle avait mis à profit la révolution de 2011 pour enfin mettre en application le respect des droits de l’homme réclamé par les opposants à la dictature de Ben Ali. Une situation pour le moins embarrassante et qui fait désordre à la veille d’un sommet de la Francophonie (du 18 au 19 novembre à Djerba) qu’il a été très difficile d’organiser à cause des complications nées de la pandémie, mais aussi des bouleversements politiques locaux après le « coup d’État institutionnel » du président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021.
« On pourrait presque croire à une fatalité pour les sommets organisés en Tunisie en novembre, rappelle un ancien militant du Mouvement démocratique socialiste (MDS). En 2005, pratiquement aux mêmes dates, le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) avait été largement perturbé par l’opposition et les remarques de certains participants sur les droits de l’homme. »
Mouches bleues et moucherons noirs
Ahmed Souab va plus loin, rappelant qu’à l’origine Mehdi Ben Gharbia avait porté plainte contre un commerçant de Sousse pour créances impayées, et qu’il s’est retrouvé poursuivi pour blanchiment d’argent et détournement de biens publics. Le juriste pointe les propriétaires du média en ligne Al Thawra News qui avaient tenté, sans succès, d’extorquer 50 000 dinars à Ben Gharbia et attiré l’attention des juges sur l’homme d’affaires.
« Les islamistes ont leurs mouches bleues qui distillent de l’intox sur les réseaux. Kaïs Saïed a ses nuées de moucherons noirs fascisants qui s’en prennent à Ben Gharbia », dénonce Ahmed Souab, qui assène qu’« il ne défendrait jamais, au grand jamais, un corrompu » en réponse aux attaques qui le visent actuellement à cause du dossier Ben Gharbia.
À Lire
Droits de l’Homme : les progrès et les manquements de la Tunisie discutés à l’ONU
Rien n’a filtre sur le fond de l’affaire, mais l’ancien magistrat s’insurge contre ce qui est aussi une atteinte à l’intérêt suprême d’un enfant et précise que le collectif de défense a « la certitude, qu’au maximum, il pourrait y avoir débat autour de quelques pièces commerciales ou fiscales, mais qu’il n’est à aucun moment question de blanchiment d’argent ou de détournement de biens publics ou d’atteinte aux deniers publics ».
Tous les partisans de Ben Gharbia dénoncent également des vices de procédure et estiment que la lenteur excessive de la justice vise à maintenir un homme politique en prison. « Le justiciable est un opposant politique incarcéré pour des raisons essentiellement politiques. À supposer qu’il y ait un vrai dossier, ce qui n’est pas le cas, c’est un homme qui pourrait très bien se défendre dans le cadre d’une remise en liberté sous contrôle judiciaire. C’est une victime politique », selon l’avocat parisien.
« Quelle que soit la réalité de ce dossier, du point de vue du justiciable et de l’opinion internationale, on ne peut pas dire que le climat en Tunisie permette d’avoir une justice indépendante et efficace », conclut Me Antoine Vey.