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le transport maritime, un secteur polluant qui tarde à changer de cap

le transport maritime, un secteur polluant qui tarde à changer de cap


« Si le transport maritime était un pays, il se classerait parmi les dix plus grands émetteurs mondiaux », ont rappelé les gouvernements américain et norvégien, en présentant lundi 7 novembre leur « Green shipping challenge » (« défi de la navigation verte ») à Charm El-Cheikh où se tient la conférence mondiale pour le climat (COP27), du 6 au 18 novembre. Lors de cet événement, ils ont demandé à l’Organisation maritime internationale (OMI) de revoir objectif de réduction des émissions de CO₂ et de viser le « zéro carbone » plutôt qu’une diminution de moitié des émissions d’ici à 2050.

En réalité, les navires risquent plutôt de multiplier ces émissions par deux, en raison de l’augmentation constante des volumes de fret. Dans son rapport annuel, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) souligne que si le secteur du transport maritime veut respecter ses engagements, il faudrait qu’il change ses pratiques du tout au tout, à commencer par l’énergie utilisée pour faire avancer les navires. Une révolution qui n’a pas commencé.

Gaz à effet de serre et particules fines : une pollution majeure

En 2022, l’ensemble de la flotte mondiale compte plus de 100 000 bateaux, dont la moitié de navires marchands, les plus consommateurs d’énergie. Les porte-conteneurs, vraquiers, pétroliers, chimiquiers et gaziers sont à l’origine de plus de trois quarts des émissions liées au transport maritime international. Pour parcourir la planète, ils utilisent l’un des carburants les plus sales au monde, un résidu visqueux du pétrole, lourd et difficile à brûler. Ce pétrole « bunker » est ce qu’il reste une fois que les autres produits pétroliers – essence, naphta ou encore diesel – plus légers, ont été raffinés. Seul l’asphalte utilisé pour les routes est plus épais.

Lors de sa combustion, il émet un cocktail de gaz à effet de serre : du dioxyde de carbone (CO₂), du méthane (CH₄) et du protoxyde d’azote (N₂O), responsables du réchauffement climatique. Combien le transport maritime émet-il de ces gaz chaque année ? Cette somme varie selon la méthode de calcul, mais elles représentent l’équivalent de 600 à 1 100 millions de tonnes de CO₂ par an au cours de la dernière décennie, résume le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Dans le domaine des transports, on utilise comme unité la « tonne-kilomètre », défnie comme le déplacement d’une tonne de marchandises sur un kilomètre. Le transport maritime représente l’écrasante majorité des tonnes-kilomètres pour seulement un sixième des émissions du fret, tous transports confondus.

Le fret maritime ne cesse de prendre de l’ampleur – l’OMI table sur un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050 – et les solutions techniques pour décarboner n’ont pas encore émergé. La pollution du transport maritime représente actuellement 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde ; si le secteur n’entame pas de changements, les émissions s’élèveraient à 17 % d’ici à 2050.

En plus des gaz à effet de serre, les navires relâchent dans l’atmosphère des particules de soufre dangereuses pour la santé et l’environnement. Avec les particules fines et l’oxyde d’azote, ces polluants de l’air touchent plus particulièrement les populations vivant à proximité des ports et des côtes. La préfecture de Seine-Maritime, qui couvre notamment les ports de Rouen et du Havre, a listé les effets de la pollution de l’air sur la santé selon la durée de l’exposition, de la crise d’asthme au développement ou à l’aggravation de pathologies cardiovasculaires et respiratoires, de cancers, de troubles neurologiques…

Et ce, sans même évoquer les autres nuisances qui découlent du déversement de produits toxiques (eaux usées des navires), de la migration d’espèces invasives (par les eaux de ballast), de la pollution sonore, de la perte de conteneurs en mer, etc.

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De nombreuses solutions envisagées

Pour remplacer le pétrole « bunker », le gaz naturel liquéfié (GNL) est aujourd’hui en bonne position. Ses avantages : la réduction massive des émissions de soufre et de particules fines, sa facilité de transport, et son adaptabilité à plusieurs types de navires. Ses inconvénients : il ne peut pas être considéré comme une alternative à faible émission de carbone, rappelle le GIEC, qui estime que les réductions sur l’ensemble du cycle de vie du combustible sont de l’ordre de 10 % des émissions. Sans compter les fuites de méthane – dont le GNL est majoritairement constitué – dont le pouvoir de réchauffement global est environ de trente fois celui du CO₂.

La Banque mondiale recommande de ne pas le soutenir comme carburant de transition dans le transport maritime et le Programme des Nations unies pour l’environnement recommande plutôt d’« élaborer des réglementations et de soutenir les politiques fiscales pour passer totalement à des carburants à faible émission de carbone (…) : les biocarburants non alimentaires, l’hydrogène vert, les énergies renouvelables et les carburants de synthèse ».

Certains acteurs du transport maritime ont choisi de passer le pas : le premier armateur mondial, A. P. Moller-Maersk, a annoncé qu’il mettrait en service une vingtaine de navires au méthanol entre 2023 et 2025. Pour les alimenter, le groupe danois s’est associé à l’Espagne où le gouvernement soutient la création de deux sites de production, l’un en Andalousie, l’autre en Galice. Cet « e-méthanol » est produit à partir de dioxyde de carbone et d’hydrogène considéré comme « vert » – car produit par électrolyse de l’eau grâce à un courant électrique provenant d’énergies renouvelables.

Le motoriste allemand Man Energy Solutions, qui équipe la moitié de la flotte mondiale, travaille à la conception de navires utilisant de l’e-ammoniac, produit à partir d’hydrogène et d’azote. Les premiers pourraient prendre la mer en 2025.

D’autres pistes, complémentaires aux carburants à faible émission carbone, sont également esquissées : des armateurs misent ainsi sur des cargos à voile pour transporter les marchandises, ou sur un dispositif générant un matelas de bulles d’air sous le bateau, pour réduire les frottements et, par ricochet, la consommation en carburant (de 5 à 8 %), et donc les émissions de gaz à effet de serre, ou encore sur un ralentissement de la vitesse. Cette dernière mesure présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre rapidement, sans attendre de renouveler les flottes, mais est difficilement applicable par les exportateurs de denrées périssables.

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Un changement de cap qui tarde à se concrétiser

Actuellement, les technologies « propres » ne sont pas encore viables dans le domaine du transport maritime et les armateurs n’ont donc pas intérêt à changer leurs pratiques. Pourtant, alerte le GIEC, l’urgence est d’autant plus grande que la durée de vie d’un navire est d’au moins vingt ans, et les innovations fastidieuses à généraliser.

Et si le changement tarde tant, c’est aussi parce qu’ils impliquent des modifications dans les bateaux tout comme dans les infrastructures qui les accueillent. Les carburants liquides – par opposition aux carburants gazeux, plus propres, qui finiront peut-être par les supplanter – prennent peu de place, sont faciles à livrer et à stocker et bénéficient d’une vaste infrastructure de distribution. C’est, selon l’OCDE, la raison pour laquelle ils restent si répandus.

Les grands groupes de ce secteur très concentré (ils sont seulement dix à en contrôler 95 % du marché) ont pourtant les moyens d’investir. Et ce ne sont pas les impôts qui pèsent sur leur bilan : leurs activités étant réparties sur le globe, le danois A. P. Moller-Maersk, le suisse MSC ou le français CMA CGM ont un taux d’imposition qui cabote entre 1 % et 2 % dans leur pays d’origine. Pour le chercheur Guillaume Vuillemey, il faudrait justement « nous interroger sur le “vrai prix” du transport maritime, une fois qu’on a pris en compte son impact environnemental. Des taxes sur le transport maritime pourraient permettre aux armateurs de payer le “coût complet” de leurs activités, ce qui n’est pas le cas actuellement. »

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