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Les annonces de la Banque centrale du Nigeria (CBN) mardi 6 décembre, ont créé une onde de choc jusqu’au Parlement nigérian, à Abuja. Les élus s’interrogent sur la décision de limiter les retraits à 20 000 nairas (quelque 42 euros) par jour et 100 000 nairas par semaine pour les particuliers, et 500 000 nairas (environ 1 068 euros) pour les entreprises. Avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation le 9 janvier, tout retrait supérieur à cette limite entraînera des frais allant de 5 % à 10 %.
Certains parlementaires critiquent une mesure « drastique », annoncée « du jour au lendemain » et « sans consultations », mais qui pourrait avoir de lourdes conséquences, « notamment pour les habitants des zones rurales où toutes les transactions se font en cash ». Face à cette levée de boucliers, le puissant gouverneur de la CBN a voulu jouer l’apaisement en indiquant que la limite pourrait éventuellement être revue.
« Nous faisons cela pour le bien de l’économie et son développement », a déclaré Godwin Emefiele, après une rencontre avec le président Muhammadu Buhari, qui lui a apporté son soutien. « Nous n’allons pas être trop rigides, mais ça ne veut pas dire que nous allons abandonner », a-t-il précisé.
Depuis 2011, l’institut d’émission cherche à moderniser les systèmes de paiement, en incitant la population à privilégier les usages électroniques, qu’il s’agisse de transferts d’argent par mobile ou de paiements par carte bancaire. Désormais, l’objectif est aussi d’encourager l’adoption du eNaira – la monnaie numérique lancée il y a un peu plus d’un an. Grâce à ces outils, la CBN compte atteindre 95 % d’intégration financière d’ici à 2024, alors que fin 2021 seuls 64 % des adultes avaient accès au système bancaire dans le pays le plus peuplé d’Afrique (220 millions d’habitants).
Des « mini-banques » chez des commerçants
« L’idée est de diffuser ces outils dans les régions qui sont actuellement les plus isolées, commente Olaolu Boboye, économiste pour CardinalStone à Lagos. Un Nigérian moyen possède au moins un téléphone portable basique, avec lequel il peut transférer de petites sommes grâce à un code USSD. Le eNaira a aussi montré des résultats encourageants, même s’ils sont en dessous des attentes initiales. Plus généralement, cette mesure va ouvrir des opportunités supplémentaires pour la Fintech. »
M. Boboye raconte que, lorsqu’il était étudiant, il devait parcourir des kilomètres pour retirer de l’argent dans la ville voisine. Désormais installé à Lagos, il dit ne pas avoir utilisé un distributeur automatique de billets depuis deux ans. « Cela me coûterait environ 200 nairas pour me rendre jusqu’à celui qui se trouve le plus près de mon domicile, justifie-t-il. Et, souvent, il y a de longues files d’attente ou alors il n’y a pas de billets dans les machines. » A la place, Olaolu Boboye retire dans un « point de vente » (Point of Sale, POS), c’est-à-dire auprès d’un commerçant possédant un terminal bancaire.
Calé dans sa minuscule échoppe remplie de sacs de pain et de sachets de lait en poudre, Nuhu glisse des billets froissés au client qui lui a fait un transfert d’argent la veille. « Je suis venu récupérer 27 000 nairas, raconte ce dernier. Ça me prendrait beaucoup trop de temps d’aller à la banque. C’est beaucoup plus pratique de venir ici. La commission de 200 nairas que je dois payer pour utiliser ce POS ne me dérange pas. »
Ces « mini-banques » ont poussé à tous les coins de rue ces dix dernières années, créant une source de revenus pour des milliers de familles. Mais les directives de la Banque centrale risquent bien de mettre un terme à cette activité. « Si je ne peux retirer que 20 000 nairas par jour, je serai obligé d’arrêter », confirme Nuhu.
Une situation confuse et imprévisible
Ce nouveau plafond de retrait risque d’affecter tout particulièrement les petits commerces, au cœur de l’économie nigériane. « Le réseau mobile est trop mauvais. Les alertes indiquant un transfert d’argent peuvent parfois mettre deux heures à arriver, lâche Jordan, un autre client de Nuhu. Personne n’a de temps à perdre pour ça ! » Ces annonces pourraient aussi « miner la confiance en un système bancaire jugé obsolète et pousser les gens à retirer un maximum d’argent pour faire des réserves », selon Tunde Ajileye, analyste pour SBM intelligence, qui met aussi en garde contre « un possible déplacement de la demande vers le marché noir ».
La situation est d’autant plus confuse et imprévisible que la Banque centrale a également annoncé fin octobre que les billets actuellement en circulation vont être remplacés. Les Nigérians ont jusqu’au 31 janvier pour ramener leurs liquidités en banque et obtenir de nouveaux billets, avant que les anciens ne deviennent obsolètes. Cette annonce a provoqué une ruée vers le dollar et la chute vertigineuse du naira sur le marché parallèle des changes dans les jours qui ont suivi.
Officiellement, il s’agit de reprendre le contrôle des liquidités, alors que 80 % des devises en circulation se trouveraient en dehors des banques, selon les statistiques officielles. La Banque centrale espère ainsi mieux maîtriser l’inflation, mettre un frein au blanchiment et à la contrefaçon, et… limiter les achats de vote, à la veille de l’élection présidentielle du 25 février 2023.
Sauf que « le timing et la précipitation » de ces annonces peuvent « poser question », selon Tunde Adjileye. Peut-être la CBN tente-t-elle de « limiter la demande pour éviter d’avoir des problèmes d’approvisionnement » en nouveaux billets de banque ? D’autant que l’impression de ces nouvelles coupures coûte très cher. De son côté, le gouverneur Godwin Emefiele assure que les banques ont déjà reçu les nouveaux billets et qu’elles sont prêtes à commencer leur distribution.