Le géant des ordures Ricova est soupçonné par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d’être impliqué dans du trafic de drogue via la Colombie, a appris notre Bureau d’enquête.
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Le plus haut corps de police du pays s’intéresse particulièrement aux activités de transport par bateau de matières recyclables effectué par Ricova.
Dans un rapport de renseignement daté de 2020 qui fait état des menaces étrangères à la sécurité du Canada, la GRC indique que Ricova et son dirigeant, Domenico Colubriale, «pourraient être» impliqués dans «du trafic de drogues par conteneurs de transport maritime et du blanchiment d’argent par des exportations de papier recyclé».
«Domenico Colubriale a également été soupçonné de trafic d’armes dans le passé», indique ce rapport partagé avec les principaux corps policiers du pays.
Ricova est un joueur majeur dans l’industrie des déchets au Québec. L’entreprise gère des centres de tri à Montréal et sur la Rive-Sud. Elle est aussi responsable de la collecte des rebuts dans de nombreuses villes du sud de la province, ainsi que de 25 % de celle de Montréal.
L’entreprise est déjà dans l’eau chaude depuis des mois pour avoir floué la Ville de Montréal d’au moins un million de dollars, ce qu’elle conteste.
Un trafiquant recruté
De nombreuses exportations de Ricova International sont faites par une entité enregistrée au Panama, un pays reconnu pour sa fiscalité avantageuse.
Mais une bonne partie des opérations se déroulent plutôt en Colombie. C’est notamment le cas des ventes de matières recyclables du Québec vers l’étranger.
Ces opérations intéressent la GRC à un point tel qu’elle a mandaté un narcotrafiquant pour lui fournir des renseignements sur ce qui se trame en Colombie.
La GRC s’est adressée à un trafiquant de cocaïne québécois membre du cartel de Sinaloa dans le but de savoir si Ricova transportait de la drogue et, si oui, d’où elle venait et à qui elle était destinée.
«Trafic de drogue. Pour Montréal, le Canada. C’est ça les soupçons. Ça ne marche pas les quantités de choses qu’il envoie. Il y a quelque chose de bizarre», a confié ce narcotrafiquant, dont nous protégeons l’identité. Son témoignage se retrouve dans le livre Narcos PQ, de notre Bureau d’enquête, disponible en librairies depuis peu.
Aussi surveillé en Colombie
Selon lui, Ricova est aussi «dans l’œil de la police colombienne». «C’est à cause de factures. […] C’est quelque chose qui est sous enquête en ce moment encore», dit-il.
Pour l’heure, aucune accusation n’a été déposée contre Ricova ou ses dirigeants.
Le président de Ricova, Domenico Colubriale, n’a pas voulu nous accorder d’entrevue. C’est plutôt l’avocat Donald Riendeau qui nous a répondu.
Me Riendeau, qui dirige l’Institut de la confiance dans les organisations, a lui-même délivré un «certificat d’intégrité» sur Ricova et M. Colubriale.
Il indique avoir engagé l’ancien policier Claude Paquette pour vérifier la probité de M. Colubriale.
«[M. Paquette] a discuté avec deux des plus hauts dirigeants des crimes organisés du SPVM et de la Sûreté du Québec, lesquels ont confirmé que M. […] Colubriale n’avait aucun lien avec le crime organisé», affirme Donald Riendeau.
►Ne manquez pas l’émission J.E, ce soir à TVA à 21 h 30, qui abordera les soupçons de la police sur Ricova.
MAINTES FOIS DANS L’ACTUALITÉ
Ricova a souvent fait la manchette pour des controverses depuis quelques années
- En 2018, des municipalités de l’Estrie, dont Sherbrooke, ont expulsé Ricova de leur centre de tri, sous prétexte que le tri « n’était pas fait ». Des tonnes de matières avaient fini à l’enfouissement.
- En 2019, notre Bureau d’enquête révélait que Rebuts solides canadiens demandait à ses employés du centre de tri de Châteauguay de maquiller des ballots de papier pour déjouer les douanes indiennes. Cela était fait à la demande de Ricova.
- En 2020, Ricova a récupéré les contrats de gestion des deux centres de tri de la Ville de Montréal d’une entreprise en faillite, Rebuts solides canadiens. Ricova obtenait ainsi le monopole du tri du recyclage des Montréalais.
- En mars dernier, le Bureau de l’inspectrice générale (BIG) de la Ville de Montréal a découvert que Ricova ne partageait pas tous les profits de la vente des matières recyclables comme elle aurait dû le faire. La filiale Ricova International prenait un profit d’au moins 20 $ par tonne qui n’était pas dévoilé, privant ainsi la Ville d’au moins 1 M$.
- En juin, à cause de l’enquête du BIG, l’entreprise a été placée sur la liste noire de la Ville de Montréal pour cinq ans, ce qui l’empêche d’obtenir de nouveaux contrats. Ricova s’est adressée à la cour pour faire annuler cette décision, mais la cause n’a pas été entendue.
- Il y a deux semaines, l’administration de Valérie Plante a annoncé qu’elle allait résilier un de ses neuf contrats avec Ricova, celui du centre de tri de Lachine, au plus tard le 14 novembre. La résiliation n’est pas due au rapport du BIG, mais plutôt au fait que Ricova n’arrivait pas à trier correctement les matières recyclables et à les vendre.
Des bureaux au Panama et en Colombie
Plusieurs vendeurs de matières recyclables de Ricova travaillent depuis la Colombie. Ils utilisent à la fois des numéros de téléphone colombiens et québécois.
Ils donnent aussi une adresse postale à Barranquilla, en Colombie. Notre Bureau d’enquête s’est rendu dans cette ville au printemps dernier pour visiter les installations de Ricova. Sur place, le nom de l’entreprise avait été retiré de l’édifice.
Un gardien de sécurité rencontré sur place a expliqué n’avoir vu personne y travailler depuis des semaines.
Nous avons tenté de rencontrer Maria Carolina Gomez Garcia, une Colombienne fondatrice de Ricova International, une entreprise officiellement basée au Panama.
Personne ne souhaitait parler de Ricova ni à son adresse en Colombie ni à son adresse au Québec.
Surveillé depuis 20 ans
Ricova et ses dirigeants ont fait l’objet de nombreux rapports de renseignement policier par le passé, notamment pour des liens allégués avec le crime organisé.
Selon un récent rapport de la Sûreté du Québec (SQ) que le Bureau d’enquête a consulté, les soupçons d’activités illégales remontent jusqu’en 2001.
La police soupçonne le président de Ricova, Domenico Colubriale, de fraude envers le gouvernement dans un dossier de fausses déclarations concernant des matières recyclées faites en 2017.
Ce même document indique qu’il est soupçonné d’avoir blanchi 2 M$ en vendant des matières recyclables à perte en 2012.
La même année, Domenico Colubriale aurait été impliqué dans du recel de véhicules volés, toujours selon la police.
Également en 2012, une entreprise de M. Colubriale aurait été utilisée pour l’importation de marchandises illicites, dont de la cocaïne.
Le document précise qu’un criminel de carrière bien connu de la police était un des conducteurs. Celui-ci a un important casier judiciaire en matière de trafic de stupéfiants.
Aucune accusation n’a été déposée en rapport avec les allégations policières qui visent M. Colubriale et ses entreprises.
Aux funérailles de Rizzuto
Dans ce même rapport, la SQ fait aussi état de contacts entre un des dirigeants de Ricova et le clan Rizzuto.
Selon nos informations, cet individu dirige notamment la filiale Services Ricova. Cette entreprise a obtenu au moins 150 M$ de contrats publics depuis cinq ans, notamment avec les villes de Montréal, Boucherville et Brossard, ainsi qu’avec des centres de services scolaires et le gouvernement du Québec.
Ce dirigeant est connu de la police pour avoir participé au party privé de l’ancien parrain de la mafia, Nicolo Rizzuto Senior, en 2009.
La police soutient que des individus haut placés du crime organisé de Montréal, de Toronto, des États-Unis, mais aussi d’Italie étaient présents à cet événement.
Nicolo Rizzuto Sr, qui est le père de Vito Rizzuto, a été assassiné en 2010.
– Avec Charles Mathieu