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« La paix ne sera durable que si la cessation des hostilités rime avec responsabilité pénale et aide humanitaire »

« La paix ne sera durable que si la cessation des hostilités rime avec responsabilité pénale et aide humanitaire »


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Personnes déplacées fuyant les violence dans l’ouest de l’Ethiopie, le 27 janvier 2021, après presque trois mois de conflit civil entre l’Etat fédéral et le Front populaire de libération du Tigré (FPLT).

Le 4 novembre 2020 débutait la guerre civile en Ethiopie. Deux ans plus tard, ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère comme « la pire catastrophe dans le monde » a fait des milliers de morts.

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Après dix jours de négociations à Pretoria, en Afrique du Sud, les insurgés du Front populaire de libération du Tigré (FPLT) et le gouvernement éthiopien se sont engagés, mercredi 2 novembre, à cesser les hostilités. Une paix qui ne « sera pas durable » si les crimes commis au cours des deux dernières années ne sont pas jugés, met en garde Fisseha Tekle, spécialiste de la Corne de l’Afrique au sein de l’organisation Amnesty International.

Pour la première fois depuis le début du conflit, des négociations ont officiellement été engagées entre gouvernement et rebelles. Avez-vous l’espoir de voir la situation s’améliorer au Tigré ?

Fisseha Tekle Aujourd’hui, les deux camps se disent prêts à la paix, mais je crains qu’ils se bornent uniquement à négocier un cessez-le-feu et oublient un élément essentiel : les violations des droits humains. La cessation des hostilités doit absolument rimer avec responsabilité pénale, justice transitionnelle et retour de l’aide humanitaire. Sinon, la paix ne sera pas durable. Malheureusement, tout indique que les violations des droits humains vont continuer.

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Personne n’a été jugé ou tenu responsable des crimes commis. La culture de l’impunité est totale. Les combattants commettent encore et encore les mêmes crimes. Depuis que les combats ont repris au mois d’août, des frappes aériennes de l’armée éthiopienne ont à nouveau ciblé des zones civiles. Rien qu’en septembre, dans la ville de Sheraro, 40 personnes ont été exécutées par l’armée érythréenne. Et il n’y a toujours pas de poursuites judiciaires.

A l’origine de ce conflit, il y a un différend politique entre le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) et le premier ministre Abiy Ahmed au sujet de l’organisation des élections. Pourquoi la situation a-t-elle à ce point dégénéré ?

Quand il a été désigné premier ministre, en 2018, Abiy Ahmed a décidé de se rapprocher de deux ennemis historiques du FPLT, qui a dirigé l’Ethiopie pendant plus de vingt ans : l’Erythrée et la région Amhara. A partir du moment où ces forces se sont engagées militairement au Tigré aux côtés de l’armée fédérale, elles se sont vengées des Tigréens, perçus dans leur ensemble comme des soutiens du FPLT. La région a été dévastée et de nombreux crimes et viols ont été commis.

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Le plus important massacre a eu lieu en novembre 2020, au début de la guerre : des soldats érythréens ont exécuté sommairement plus de deux cents civils en allant de maison en maison dans la ville d’Aksoum. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Plus tard, nous avons observé le même sentiment de vengeance et les mêmes représailles lorsque les soldats tigréens se sont aventurés dans les régions Afar et Amhara. Ils ont aussi commis de graves exactions.

La communauté internationale s’est-elle, à votre avis, désintéressée de ce conflit ?

Disons que si cette guerre se déroulait en Europe ou ailleurs, nous aurions probablement assisté à une réponse différente. Certes, l’accès à l’information est difficile : les télécommunications, Internet et l’électricité sont coupés au Tigré depuis deux ans. Le conflit est invisible, et plus il se prolonge, moins il reçoit d’attention. Ceci dit, malgré le black-out des communications et l’éloignement des journalistes et des organisations telles qu’Amnesty International, nous avons été en mesure de documenter de graves violations des droits humains. Il y a largement assez de preuves à la disposition de la communauté internationale pour élever la voix et agir.

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Nous parlons ici de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, comme le nettoyage ethnique au Tigré occidental. Face à ces exactions, l’attitude des Nations Unies ou de l’Union Africaine n’est pas à la hauteur. Jusque-là, les institutions internationales se sont contentées de faire le minimum : nomination d’envoyés spéciaux et établissement de commissions d’enquêtes. Mais, en deux ans, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais inscrit l’Ethiopie à son agenda. Quant à l’Union africaine, qui a son siège à Addis-Abeba, elle n’a jamais mis la guerre du Tigré au menu des discussions entre chefs d’Etats.

Le Musée Mémorial américain de l’Holocauste, qui a une véritable expertise, estime que les risques de génocide sont élevés dans le nord de l’Ethiopie. Pensez-vous que l’actuelle radicalisation des discours peut mener à une telle tragédie au Tigré ?

Amnesty International n’exclut pas qu’un génocide soit en cours au Tigré, mais nous n’avons pas encore d’informations suffisantes pour l’affirmer. Tous les signes sont présents : un nettoyage ethnique, des violences sexuelles systématiques et plus généralement des discours de haine en forte hausse que les autorités n’ont pris aucune mesure pour réfréner.

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Le gouvernement éthiopien essaie par tous les moyens de présenter ce conflit comme une mission de maintien de l’ordre au Tigré. Mais, depuis novembre 2020, tout indique qu’il s’agit d’une guerre civile, que ce soit l’intensité des combats et la présence de l’armée érythréenne, la magnitude de la mobilisation, sans parler de l’utilisation massive de barrages d’artillerie et de frappes aériennes.

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