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La démocratie en danger au Brésil? Tout savoir sur le second tour de la présidentielle

La démocratie en danger au Brésil? Tout savoir sur le second tour de la présidentielle


Au lendemain du débat précédant le second tour de la présidentielle brésilienne, qui aura lieu ce dimanche 30 octobre, le pays s’apprête à faire un choix des plus importants entre une marche lente vers le fascisme ou la théocratie et une survivance de la démocratie. C’est du moins l’avis d’un expert sur le sujet.

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Devant ce spectacle politique aux représentations si éloignées, que peut-on penser de la tribalisation de nos vies politiques? Déjà, plusieurs experts mettent en avant le danger de ce phénomène ici comme au sud de notre frontière, aux États-Unis.

Néanmoins, rien de ce qui est observé en Amérique du Nord ne nous prépare à l’analyse de l’état de la vie politique brésilienne, selon Edison Rodrigues Barreto Jr, professeur à l’Université d’Ottawa et chercheur spécialisé sur les questions brésiliennes et sud-américaines, que j’ai interrogé au sujet du scrutin de ce 30 octobre.


Le professeur Edison Rodrigues Barreto Jr.

Capture d’écran CEIM | UQAM

Le professeur Edison Rodrigues Barreto Jr.

Voici donc 5 questions sur le second tour de la présidentielle brésilienne.

Quels sont les enjeux pour le Brésil à l’aube de ce second tour de l’élection présidentielle?

Edison Rodrigues Barreto Jr (E.B.): «Nous faisons face à une dispute peu commune au Brésil et qui ressemble beaucoup à ce qui se passe actuellement dans plusieurs démocraties occidentales. Dans l’apparence, c’est la dispute entre ceux qui ne veulent plus le président actuel Bolsonaro (ou ce qu’il représente) et ceux qui ne veulent pas le retour de Lula da Silva (ou de ce qu’il est censé représenter).»

Il précise: «En vrai, il s’agit d’une dispute entre deux projets politiques clairs: soit un projet politique de pouvoir autoritaire, populiste, violent, fondamentaliste, privatiste et isolationniste au niveau international, soit un projet qui cherche à rétablir la normalité des institutions républicaines, renforcer les fondements de la démocratie représentative brésilienne et rétablir le pacte issu de la dernière constitution de 1988 (de l’après-régime militaire).»

Sous-estime-t-on le bolsonarisme à la vue des résultats du premier tour?

E.B.: «Le bolsonarisme ne va pas disparaître si Bolsonaro perd les élections. C’est semblable au trumpisme. Mais je pense qu’il perdra de sa vigueur lorsque Bolsonaro va quitter le pouvoir. Et il y a de fortes chances que Bolsonaro soit responsabilisé par la justice brésilienne.»

«Le parti de Bolsonaro et ses alliés contrôlent déjà la chambre des députés et ils contrôlent presque également le Sénat. Ça va rester présent institutionnellement pour un bout. Par contre, ce n’est pas un groupe très homogène. Certains pro-Bolsonaro ont déjà entamé des négociations avec Lula», explique-t-il.

Quel a été le rôle des réseaux sociaux dans cette campagne?

E.B.: «Dans un pays extrêmement connecté (90 % des ménages brésiliens sont connectés au réseau internet et presque 98% des villes brésiliennes ont au moins une connexion 4G), la campagne s’est déplacée vers les réseaux sociaux. Dans le passé, c’était la grosse chaîne privée de télévision GLOBO qui dominait la scène politique et qui influençait beaucoup les résultats des élections. Elle est encore influente, mais les réseaux sociaux le sont plus désormais.»

«Si la campagne sur ces réseaux a été celle de personnalités vantant le discours de chacun des candidats […] [,] enfin surtout celui de Lula vu le nombre d’artistes, de sportifs, etc. qui le soutiennent, du côté Bolsonaro ça a été fausse nouvelle sur fausse nouvelle. On parle même d’un cabinet de la haine installé au sein même du gouvernement, et où le fils de Bolsonaro est fortement impliqué», ajoute-t-il.

Et celui des groupes évangéliques?

E.B.: «Les églises évangéliques sont un élément clé pour comprendre l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro et la dynamique de ces élections. On a des élus évangéliques (plusieurs pasteurs pentecôtistes) qui forment la base politique du gouvernement Bolsonaro (on a aussi les élus engagés dans l’armement et ceux qui représentent l’intérêt de la plupart des gros propriétaires terriens bien sûr).»

«Le plus important est néanmoins le changement de dynamique. Les églises évangéliques sont anciennement des soutiens de Lula. Ils formaient sa base politique dans le passé. Pendant son premier passage au pouvoir, on passe de 26 millions d’évangéliques en 2003 (arrivée de Lula) à plus de 65 millions en 2020. Au-delà d’avoir été influencés par les fausses nouvelles, notamment auprès des électeurs pauvres ou de moindre conscience politique, c’est surtout une droitisation morale (que l’on peut observer sur tout le continent auprès de la droite politique) qui a fait en sorte qu’ils sont passés de Lula à Bolsonrao», conclut-il. 

Cette élection reste-t-elle avant tout chose une bataille pour la démocratie?

E.B.: «Oui, car Bolsonaro est imprévisible. On peut voir par exemple ses derniers propos où il est prêt à contester les résultats alors que Lula reprend de l’avance dans les sondages. Les institutions brésiliennes, notamment la Cour suprême, restent néanmoins très vigilantes. Le judiciaire est trop impliqué dans la politique depuis quelques années. Pour le meilleur et pour le pire.»

«Par contre, du fait du poids du bolsonarisme, du fait des opinions de certains militaires sur la démocratie, il va falloir rester vigilant même advenant une victoire de Lula. Et alors si Bolsonaro l’emporte […] [,] les scénarios apocalyptiques [réformes constitutionnelles, diminution du poids de la CS, élimination de nombreux droits sociaux et fondamentaux, destruction des lois environnementales] ne seront plus vraiment de simples scénarios […]»

Sur fond d’affrontements larvés et tribaux entre deux camps ne pouvant s’entendre, les Brésiliens doivent donc désigner ce 30 octobre leur prochain président. Lula bénéficie d’une fine avance dans les sondages.



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